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L’incision faite par le rasoir était longue de 8 à 10 centimètres, or comme le muscle peaucier est très rétractile, l’ouverture était fort large. D’une main, je fis pénétrer mon aiguille de Reverdin et de l’autre je tenais une pince afin de rapprocher les bords de la plaie. Ayant les deux mains occupées, je chargeai le marin d’introduire le fil dans l’aiguille, lorsque celle-ci eut traversé les tissus, puis je pratiquai la suture. La réussite fut absolue, et la cicatrisation survint ensuite rapide et parfaite. L’histoire du « point de voile » est parfaitement ridicule. Pendant ce temps, Maupassant fut très calme, parlant beaucoup avec tout son bon sens.

Les jours suivans : alternatives et périodes de calme, de prostration ou d’extrême agitation. Le surlendemain, je dus même employer temporairement la camisole de force, en remplacement d’un cordage avec « points de voile » que le marin avait appliqué de lui-même, en attendant ma visite parce qu’il lui était impossible de maintenir autrement le malade dans son lit.

En ces circonstances, nous décidâmes, mon excellent confrère le docteur Darenberg et moi, d’envoyer le pauvre malade dans l’ancien établissement du docteur Blanche, en le recommandant aux bons soins du docteur Meuriot, mon ancien camarade auquel j’écrivis. Peu après cette décision, nous reçûmes de MM. Delpit et Cazalis (Jean Lahor) un télégramme dans lequel ils protestaient avec véhémence contre cette décision. Absolument certains, malheureusement, de notre diagnostic, nous ne tînmes aucun compte de cette opposition. Quelques jours après, j’accompagnais notre pauvre ami à la station du chemin de fer ; il pouvait à peine marcher. Il fut reçu, à la gare de Paris, par MM. Delpit et Cazalis qui, en le voyant, n’hésitèrent pas un instant à l’accompagner eux-mêmes directement à Passy, où, hélas ! la maladie suivit son cours fatal.

Ainsi s’éteignit cet homme de cœur, cet admirable écrivain.


Dr DE VALCOURT.