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jeunesse. Les souvenirs de l’un font écho aux souvenirs de l’autre qui achève machinalement les phrases du premier. C’est ce Paris-là que l’auteur de Ce que mes yeux ont vu, l’ayant vu de ses yeux de jeune homme, garde dans sa mémoire comme un Paris enchanté, merveilleux et pourtant réel. Songez donc ! Il y avait alors le boulevard, et le boulevard s’étendait exactement de la rue Drouot à la Chaussée-d’Antin, de sorte qu’en deçà et au-delà c’étaient pour le vrai Parisien les terrains vagues et les terres inconnues. Sur le boulevard, toute la journée défilé de célébrités, assaut d’élégances et d’esprit ; le soir une activité nouvelle succédait à celle du jour, et les magasins brillamment éclairés commençaient de resplendir. Il y avait les premières représentations. Oh ! les premières représentations, avant 1870, quand on ne connaissait ni répétitions générales, ni avant-générales, ni répétitions des couturières ! Quelle gloire d’en être ! Il y avait la sortie des Italiens, sous le péristyle de la place Ventadour, où se pressaient tant de jolies femmes : c’était comme une corbeille de fleurs. Il y avait le Bois, le tour du lac, les daumonts attelées à quatre ; et il n’y avait pas d’automobiles ! Il y avait les courses, et, en ce temps-là, « l’enceinte du pesage était fermée au demi-monde. » J’aime beaucoup cette petite phrase : elle me remplit de considération pour une époque si respectable. Nous avons bien dégénéré. Mais où sont les élégances d’antan ?

Chaque fois que j’entends les survivans du Second Empire célébrer ces élégances de leur temps, je n’ai garde de douter. Ils y étaient ; ils ont vu. Leurs traditions n’étaient pas très anciennes ; ils se regardaient un peu trop passer dans la rue ; car, soit dit sans l’offenser, le boulevard, même par un grand B, c’est encore la rue. On les rencontrait trop souvent du perron de Tortoni au perron des Variétés. Ils étaient trop gais ; cela devait mal finir. Sans doute. Mais comme on comprend la partialité et la nostalgie de ces mémorialistes, quand ils comparent la société de leur temps à la nôtre ! C’est de cette comparaison que bénéficie la société du Second Empire. Paris était alors plus petit et on commençait seulement à « l’embellir. » Il est incontestable que depuis quarante ans le goût s’est épaissi, les mœurs se sont vulgarisées et que, devant l’actuelle Cosmopolis, les Parisiens du défunt boulevard sont bien venus à regretter ce qui fut Paris.

De même pour la presse. Et c’est ici que le témoignage d’un journaliste consommé est d’un grand prix. Que pense-t-il de la presse, passée, présente et à venir, de ses variations et de ses transformations ? Il est hors de doute que M. Arthur Meyer garde toutes ses préférences