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métier, il l’aurait plutôt inventé. Il était né journaliste. Il avait naturellement cette forme d’esprit qui travaille au jour le jour, fuit comme la peste les considérations générales et les développemens d’ensemble, et va droit aux faits qui doivent être pour le moins curieux, imprévus, amusans, à défaut d’être sensationnels. Il abonde en menus détails. Une rencontre, un déjeuner au restaurant, une poignée de main au club, un mot lancé au hasard, une plaisanterie retombée à l’aventure ont décidé de crises auxquelles les Montesquieu et les Guizot de l’avenir chercheront des explications plus lointaines, plus savantes, et moins divertissantes. C’est la théorie des petites causes engendrant de grands effets. Scribe en avait déjà tiré le parti que l’on sait. A qui ne l’applique pas d’instinct, les dieux ont refusé le don qui fait aussi bien l’homme de théâtre, le romancier et le journaliste.

Les chapitres intitulés Paris autrefois et aujourd’hui, Sa Majesté l’Argent, Son Altesse la Presse, me semblent bien n’avoir pas dû faire partie du dessein primitif de l’auteur. Comme il arrive souvent, c’est à ceux-là que le public ira de préférence. Ce qu’on demande surtout à un écrivain de souvenirs, c’est un témoignage sur ce qu’il a vu, et qu’il a été en situation de voir mieux que d’autres. Mieux que personne autre, par sa situation de journaliste parisien, M. Arthur Meyer a été à même de connaître Paris et, dans Paris, Tout-Paris. Fréquenter ces trois cents personnes, devenir leur historiographe, arriver à faire partie de leur bataillon sacré, ce fut de bonne heure son désir, son rêve, son âpre ambition. Il nous confie, de la meilleure foi du monde, l’ardeur et la naïveté de son zèle et comment il s’astreignait chaque jour à mourir de faim chez Bignon pour l’honneur de contempler ceux qui déjeunaient plantureusement aux tables voisines. Mais peu à peu il se rapprochait de la fameuse « table des célébrités. » Mais finalement il était admis à s’y asseoir. Enfin il pouvait dire à Aurélien Scholl : « mon cher ! » Nous sommes quelques-uns qui n’arriverons jamais à nous figurer ce que représentait comme satisfaction d’amour-propre ce « mon cher ! » dit à Aurélien Scholl. Aussi nous pouvons bien être des bourgeois de Paris, nous ne serons jamais des Parisiens.

Il y a pour chacun de nous un moment de la vie où se forme, se précise et se fixe notre idéal. L’idéal de M. Arthur Meyer s’est formé dans les dernières années du second Empire, et il s’y est arrêté. Vous vous rappelez certainement, dans la Bertrade de M. Jules Lemaître, ce bout de dialogue délicieux où un vieux gentilhomme et une amie retrouvée évoquent ces temps disparus de leur