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REVUES ÉTRANGÈRES.

Au point de vue proprement « classique, » d’autre part, ces années, de collège ne semblent pas avoir été d’un très grand profit pour la formation intellectuelle du brillant élève de Saül Morteira. C’est seulement après sa sortie de l’école, vers 1650, qu’a commencé sa, véritable éducation d’humaniste et de savant. Mais peut-être les leçons de langue espagnole qu’il recevait de ses professeurs lui ont-elles permis de s’initier déjà, dès son enfance, au goût et aux aspirations littéraires du temps ; et. la présence parmi ses livres, au moment de sa mort, d’œuvres diverses de Cervantes, de Quevedo, et de Montalvan semble même nous prouver que la langue de ces écrivains est toujours restée pour lui, depuis lors, le mode préféré de l’expression poétique, tandis que le latin, le hollandais et le français ne lui servaient en quelque sorte qu’à traduire la « prose, » positive et discursive, de sa pensée. Sans compter qu’il y a encore un autre ordre de connaissances qui, selon toute probabilité, a dû se révéler à lui dès cette période initiale de sa vie, pour ne plus cesser de l’intéresser désormais avec une passion singulière. Dans la maison de son père tout de même qu’à l’école juive du Burgwall, l’enfant n’a pu manquer de subir la contagion de la curiosité que provoquaient alors, chez ses coreligionnaires, les derniers événemens de la politique européenne. A grands frais, les parens de Baruch et de ses condisciples entretenaient dans tous les pays des correspondans qui leur envoyaient, de jour en jour, jusqu’aux moindres nouvelles ; et l’on ne peut s’empêcher d’imaginer le petit collégien, entre sa classe du matin et celle du soir, tâchant de toute son âme à ne pas perdre un seul mot d’une longue et bruyante discussion provoquée, autour de la table de famille, par l’annonce d’une récente victoire de Cromwell ou de Condé.


Michel Despinoza avait naturellement espéré que son unique fils survivant, après l’achèvement de ses classes, consentirait à venir l’aider dans son commerce, en attendant d’être un jour admis à lui succéder. Mais Baruch avait, dès ce moment, puisé dans le Talmud la notion idéale d’une existence étrangère et supérieure au vain souci de l’argent ; et bien que ce même Talmud eût déjà très profondément ébranlé sa confiance dans les dogmes que ses écrivains avaient eu pour objet de lui expliquer, ce fut sans doute de son plein gré que le jeune garçon, afin de pouvoir poursuivre librement la série de ses études, résolut de se préparer aux fonctions de rabbin, — peut-être avec l’arrière-pensée de « se laïciser » avant peu, s’il se sentait décidément incapable de réaliser les hautes espérances fondées sur lui par sa