Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/452

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peut-être machinales, et plus que des louanges certainement vagues, voici qui est probant, et qui montre bien la part exacte d’influence que Virgile a sur l’esprit de Hugo. En 1881, dans une pièce des Quatre Vents de l’esprit, paraissent ces vers :


J’ai, comme Eschyle, deux âmes,
L’une où croissent les fleurs, l’autre où couvent les flammes.

On est beau par Virgile et grand par Juvénal.


Ce qu’il en faut retenir, ce n’est pas seulement la formule antithétique par laquelle Hugo essaie de définir les deux poètes latins, c’est le rapport qu’il indique lui-même entre la nature de leurs deux génies et celle des deux tendances qu’il sent en lui. Tout ce qu’il a de douceur, de paix, de joie, d’harmonie, il le synthétise dans le nom de Virgile, tandis que Juvénal représente tout ce qu’il a de fougue furieuse et d’implacable violence. Est-ce exact ? Il y aurait, sur ce jugement, bien des réserves à faire. On pourrait se demander si Virgile n’a pas possédé quelques-unes des qualités que Hugo semble lui dénier, si son art suave et serein n’est pas plus susceptible de force, voire d’âpreté, qu’on ne le dirait d’après l’antithèse de tout à l’heure. Surtout on pourrait s’égayer de cette antithèse qui trahit un tel manque de modestie, car enfin elle revient à dire que Virgile est au plus la moitié de Victor Hugo. Il est vrai qu’être la moitié de Victor Hugo, pour Victor Hugo, à cette date-là, » c’est déjà fort honorable ! Il faut donc interpréter comme un éloge sincère, et qui veut être flatteur, ce vers qui est le dernier où Hugo ait publiquement exprimé son opinion sur Virgile. Un peu moins enthousiaste qu’on ne s’y serait attendu en 1837, mais beaucoup moins dédaigneux qu’on ne l’aurait prédit en 1865, le mot final de Hugo sur Virgile est un adieu plein de dignité et de respect.

On voit, par tout ce qui précède, que l’admiration du grand romantique français pour le grand classique latin a bien pu quelquefois diminuer d’intensité, mais qu’elle n’a jamais subi d’éclipsé totale. Les périodes où elle s’est le plus affaiblie, de 1825 à 1830 et de 1860 à 1870, sont celles où Victor Hugo s’est le plus laissé entraîner par le parti pris politique et par le préjugé d’école littéraire, c’est-à-dire, tranchons le mot, par l’esprit de coterie, quoique, même alors, il se soit tenu très éloigné d’une sévérité trop rigoureuse. Mais, quand il est dégagé des