Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/446

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

netteté le plan rationnel qui préside à la vie du monde et aux destinées de l’humanité. Cette notion de l’ordre, que, livré à lui-même, il oublierait peut-être, lui est rappelée, sinon enseignée, par Virgile.

A cet égard, l’action de Virgile a été un peu la même sur la philosophie de Hugo que sur sa conception de l’amour et sur son sentiment de la nature. Sur ces trois points, elle a combattu ce qu’il pouvait y avoir, dans ses tendances personnelles, d’excessif, de trouble et de morbide : elle a été un principe de noblesse et d’eurythmie. Lorsqu’il est sous l’ascendant de Virgile, Hugo ressent l’amour comme une émotion tout ensemble haute et douce, et non comme un désir grossier ou libertin. Lorsqu’il est sous l’ascendant de Virgile, il voit l’univers extérieur comme un spectacle heureux, et non comme une hallucination de cauchemar. Lorsqu’il est sous l’ascendant de Virgile, il se représente la destinée humaine comme une évolution normale qui a un sens, une loi et une limite, et non comme un prodige démesurément sublime ou monstrueusement atroce. Toujours et partout Virgile le règle, le calme, le réconforte.

Il était donc bien inspiré lorsqu’en 1837 il définissait, par un symbole emprunté à la Divine Comédie, le rôle qu’il assignait à Virgile. La vie, avec toutes ses fautes et toutes ses misères, ressemble effrayamment à l’enfer dantesque. Mais, dit-il à Dante :


Mais, pour que rien n’y manque, en cette route étroite,
Vous nous montrez toujours debout à votre droite
Le génie au front calme, aux yeux pleins de rayons,
Le Virgile serein qui dit : Continuons !


C’est bien cela. Dans toutes les parties de son œuvre, élégies amoureuses, descriptions de la nature ou méditations philosophiques, Hugo a trouvé en Virgile un maître de sérénité.


IV

Il s’est affranchi pourtant de cette maîtrise, et l’a reniée. Pas de très bonne heure, il est vrai : pendant les premières années de l’exil, sa reconnaissance et sa fidélité ne semblent aucunement diminuées. Nous avons relevé bien des pages virgiliennes dans les Contemplations, voire dans les Chansons des rues et des bois ; les Châtimens offriraient aussi quelques