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aimer, par ne plus sentir même, que ce qui donne une sorte de frisson macabre ?


L’orage, l’horreur, la pluie,
Que tordent les bises d’hiver,
Répandent avec des huées
Toutes les larmes des nuées
Sur tous les sanglots de la mer.


Son admiration pour le maître latin l’a fort à propos aidé à se rappeler que la joie est aussi vraie que la douleur, l’ordre aussi beau que l’étrangeté. Son œuvre risquait d’être une tempête sans « éclaircies : » Virgile y a projeté plus d’un rayon de soleil.

Victor Hugo peintre de la nature, comme Victor Hugo poète amoureux, a donc très réellement, — et très utilement, — subi l’influence de Virgile : en est-il de même de Victor Hugo philosophe, penseur, ou « mage, » pour lui donner le nom dont s’est enivré son orgueil ? Dès 1837, il est si fortement convaincu de l’union nécessaire entre la poésie et la philosophie, qu’il revendique pour Virgile la double gloire à laquelle lui-même aspire. Il est alors dans toute la ferveur de son admiration rajeunie pour le poète latin : il ne lui suffit pas de lui confesser son amour ou de contempler avec lui les spectacles pittoresques ; il veut communier avec lui en la même foi métaphysique. Et comme, à ce moment, il est à demi chrétien, il fait de Virgile un demi-précurseur du christianisme,


… Un des cœurs que, déjà, sous les cieux
Dorait le jour naissant du Christ mystérieux.


La coïncidence, miraculeuse selon lui, entre la vie de Virgile et la naissance de Jésus, lui explique la « lueur étrange » qu’il croit voir briller à la cime des vers des Bucoliques. « Raison de poète ! ont pensé maints critiques, belle antithèse offrant matière à de beaux vers, et rien de plus ! » Mais l’intuition poétique, comme il arrive souvent, a cette fois été vérifiée par les recherches de la science. Les plus récens commentateurs de Virgile et les plus modernes historiens des religions, M. Sabatier et M. Salomon Reinach, donneraient plutôt raison que tort à Hugo. Sans doute on ne pense plus que Virgile, comme le croyaient le théologien Lactance ou l’empereur Constantin, ait pu pressentir, de quelque manière que ce soit, l’avènement