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C’est donc que Virgile est autre chose que Rabelais ! Virgile et Rabelais, Virgile et Villon : ces rapprochemens de noms, à eux seuls, sont fâcheux, mais n’oublions pas que ce sont des rapprochemens antithétiques. Pour tout dire, Virgile, à ce moment-là, n’est plus l’inspirateur unique du poète amoureux ; il est désormais en compagnie assez hétéroclite, assez scabreuse, mais il n’a pourtant pas perdu sa propre noblesse. Et même il en communique un peu à son imitateur, quelque indigne que celui-ci en soit devenu. S’il y a dans les Chansons des rues et des bois, à côté de bien des pages déplaisantes, quelques visions vraiment et presque chastement belles, si l’appel au plaisir, trop souvent brutal, se pare quelquefois d’une certaine grâce plastique, et, d’autres fois, s’élargit en vaste symbole, l’honneur en revient à Virgile. Son influence, contre-balançant heureusement celle des Villon, des Rabelais, des Béranger, a imposé au poète quelque retenue jusque dans le pire débridement de ses instincts naturalistes ; elle a, si l’on ose dire, empêché l’oaristys de dégénérer en priapée. Hugo, qui ne se vante que de l’avoir « cherché, » l’a « trouvé » plus qu’il ne veut bien le dire. Par là, il lui doit un nouveau service qui n’est pas moindre que le premier. En 1837, Virgile avait apaisé sa tristesse : en 1865, il ennoblit un peu sa sensualité.

La conception de la nature, chez un poète comme Hugo, se lie étroitement à celle de l’amour : il est donc inévitable qu’elle aussi ait subi dans une large mesure l’action de la poésie virgilienne. Non pas qu’il y ait identité complète, que la nature soit pour Hugo ce qu’elle est pour Virgile : elle est cela, et autre chose encore, mais elle est cela en grande partie. Pour marquer la nuance exacte, qui, en pareille matière, est si nécessaire à observer et si facile à fausser, revenons à cette pièce des Voix intérieures qui est à la fois un hommage à Virgile, une apothéose de Juliette, et une évocation pittoresque d’un coin de nature agreste. Dans la description de la vallée de Meudon où le poète convie son maître à le suivre, il y a maints détails vraiment virgiliens, si l’on entend par là, non pas ceux qui se rencontrent déjà dans les Bucoliques ou dans les Géorgiques, mais ceux qui pourraient s’y rencontrer, ceux que Virgile aurait aimés :


<poem> Une chaste vallée A des coteaux charmans nonchalamment mêlée…