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ses vers, une très angoissante amertume. Partagé entre des sentimens contraires et, pour ainsi parler, tiraillé entre deux foyers, regrettant son passé « d’amour, de vertu, de jeunesse, » redoutant de vieillir, blâmé par les gens austères et raillé par les envieux, Hugo souffre alors, beaucoup plus profondément qu’on ne l’a souvent cru. Et puisqu’il souffre, il n’est pas surprenant qu’il se réfugie dans les bras de l’antique ami des malheureux. Virgile va l’aider à se soustraire à cette existence d’efforts stériles :

Viens, quittons cette ville au cri sinistre et vain,


et loin du monde réel, dans un triple rêve de nature, d’amour et de poésie, il va lui verser le divin oubli.

Il faut bien reconnaître d’ailleurs que, même une fois la tristesse dissipée, Hugo ne perd pas l’habitude de mettre sous le patronage de Virgile la majeure partie de ses vers d’amour. Après l’avoir pris pour consolateur de ses inquiétudes, il le prend pour témoin et conseiller de ses joies, de ses effusions triomphantes, voire de sa fougue sensuelle. Il est très certain, par exemple, que, vers l’époque des Chansons des rues et des bois, Virgile est devenu pour son disciple surexcité ce que M. Chabert appelle spirituellement un « maître en impudeur. » M. Chabert le regrette du reste, M. Guiard également, et il est fort difficile de ne pas être de leur avis. Entre le Virgile des Voix intérieures et celui des Chansons, nul doute que le premier n’ait pour lui le double avantage d’être plus vrai et d’être plus grand. Cependant, si choqué que l’on soit de l’éternelle, universelle et agaçante oaristys pseudo-virgilienne que Hugo sexagénaire a étalée, il ne faut pas croire que Virgile ait été confondu par lui avec les poètes franchement libertins. On se souvient de la petite pièce où l’auteur, s’adressant à son vers, lui conseille d’emmener avec lui, comme deux camarades (différens, quoique également chers), l’esprit gaulois et l’esprit latin :


Presse un peu le pas de Virgile,
Retiens par la manche Villon.


C’est donc que Virgile est aussi réservé, aussi timide, que Villon est effronté ! Pareillement un peu plus tard, Hugo écrit dans Toute la lyre :


L’idéal démasqué montre ses pieds d’argile,
On trouve Rabelais où l’on cherchait Virgile.