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arrêtée. Hugo, très certainement, les admire, mais très probablement, il les admire plus qu’il ne les aime, et ne se sent point invité à méditer sur eux. C’est le contraire avec les lyriques, conteurs et romanciers de l’Allemagne et de l’Angleterre, ceux qu’il désigne par le terme commode de « poésie du Nord. » Ceux-ci ouvrent à la pensée des perspectives immenses : mais, si elle peut se plonger dans leurs œuvres, elle court risque de s’y perdre. Elle n’a devant elle aucun plan, aucun ordre, aucun contour défini, aucune lumière nette. Virgile est le seul qui soit à la fois suggestif et précis. Il y a en lui, — et Victor Hugo ne l’ignore pas ; plutôt même serait-il porté à l’exagérer, — il y a de la « poésie » telle qu’on l’entend vers 1825 ou 1830, c’est-à-dire de l’émotion, du rêve, de la mélancolie, du mystère. Mais en même temps l’expression, créée par un labeur patient, est achevée en tous points : rien n’y subsiste de flou, d’obscur ou d’incohérent. Par ces deux qualités si difficiles à réunir, il répond au double besoin que Victor Hugo ressent à cette époque. Il lui enseigne à concilier l’infini du sentiment avec la perfection exacte de la phrase, à enclore, si l’on peut dire, une âme romantique dans une forme classique.

Que telle ait bien été l’influence du poète latin sur le poète français aux débuts de son activité littéraire, c’est ce que prouverait l’étude des fragmens virgiliens que contiennent ses premiers recueils, jusqu’aux Feuilles d’Automne inclusivement. Nous ne pouvons, on le comprend, les examiner un à un, renvoyant pour cela aux statistiques de M. Chabert et aux analyses de M. Guiard, Il y a pourtant quelques exemples assez typiques pour que nous demandions la permission de les mettre sous les yeux du lecteur. Tout le monde connaît la belle pièce des Feuilles d’Automne adressée à Louis B…, et inspirée par la mort du général Hugo. Le poète se représente son père, dans une autre existence, retrouvant ses anciens compagnons de l’armée impériale :


Car sans doute ces chefs, pleurés de tant de larmes,
Ont là-bas une tente. Ils y viennent le soir
Parler de guerre ; au loin, dans l’ombre, ils peuvent voir
Flotter de l’ennemi les enseignes rivales,
Et l’Empereur au fond passe par intervalles.


Cette description pittoresque et émouvante a sans doute, pour une large part, des sources bien modernes : d’abord, de