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discerner déjà son double goût pour l’expression concrète et pour la composition antithétique. Ce ne sont encore là qu’exercices d’écolier. Mais voici l’apprentissage de poète qui va commencer. Dès 1815, l’élève de la pension Cordier se sent invinciblement attiré par les vers, et Virgile est un des « complices » (non pas le seul, mais l’un des plus utiles) de sa « fièvre poétique. » C’est en traduisant la première Églogue, les épisodes du Règne de Jupiter, du Vieillard du Galèse, et d’Aristée dans les Géorgiques, d’Achéménide, des Cyclopes, de Cacus, d’Euryale et Nisus dans l’Énéide, que le futur auteur de la Légende des Siècles apprend les procédés élémentaires de son métier. Il serait vain de chercher à surprendre dans le choix de ces textes les prédilections naissantes du jeune écrivain. En réalité, Victor Hugo ne choisit pas : il suit tout simplement l’opinion courante ou la routine scolaire ; il va aux « morceaux choisis » les plus classiques, les plus célèbres, et c’est tout. Mais, déjà apparaît, dans ces travaux d’assouplissement poétique, l’une de ses meilleures qualités, la conscience professionnelle. Quand il s’impose de refaire de fond en comble sa traduction de la première Bucolique, quand il s’excuse d’avoir légèrement altéré la signification d’un vers afin de satisfaire aux exigences de la rime, quand il confronte sa version avec celles des autres interprètes, on voit bien qu’il possède, dès cette date, la robuste probité de bon ouvrier qu’il ne perdra jamais, pas même au sein de ses passions les plus exubérantes ou de ses plus capricieuses fantaisies.

Quel est le résultat de ce travail si loyalement assidu ? M. Guiard a étudié en détail ce que nous avons conservé de ces essais de Hugo, et il a eu bien raison, car il ne saurait être indifférent de regarder de près ces premiers tâtonnemens du génie. Peut-être les juge-t-il un peu durement. Sans doute ces compositions, demi-scolaires, demi-poétiques, sont très loin d’avoir la splendeur des Contemplations ou la vigueur de la Légende des Siècles : mais, si l’on songe à l’âge de l’auteur et au goût de l’époque, on les lira avec plus d’indulgence. Elles présentent des mérites appréciables : de la clarté, de l’élégance et de l’harmonie, presque toujours, quelquefois de la simplicité et de la force. Il arrive même que le jeune écrivain, sans doute déjà riche en antithèses, en ajoute au texte latin, comme dans l’histoire d’Achéménide :