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y a-t-il là réellement un souvenir du beau vers de l’Enéide :


Annuit et totum nutu tremefecit Olympum ?


Les cormorans que le poète français montre


Plongeant tour à tour
Et coupant l’eau qui roule en perles sur leur aile,


doivent-ils nous rappeler les cygnes du Caystre, qui, dans les Géorgiques, arrosent à l’envi leurs flancs d’une eau abondante ? Il semble bien que le trait si pittoresque de Hugo lui ait été suggéré par une « chose vue » plutôt que par une réminiscence livresque. Et, s’il s’agit, non plus de vers isolés, mais de développemens poétiques, est-il croyable que Victor Hugo, ; en dépeignant la grotte des Travailleurs de la Mer, se soit rappelé qu’il avait jadis traduit la description du palais de la mère d’Aristée ? A-t-on le droit de mettre en parallèle les paroles d’Enée à Evandre et celles de don Salluste à don César de Bazan, sous prétexte que l’un et l’autre exposent de façon analogue leur généalogie ? Ce sont là, pensons-nous, des comparaisons arbitraires, plus faites pour nuire que pour servir à la thèse qu’elles prétendent étayer. Il reste heureusement dans l’œuvre de Victor Hugo bien d’autres réminiscences virgiliennes, indiscutables celles-là, et très capables de nous prouver la persistance dans sa mémoire des vers charmans ou frappans qu’il avait lus.

Elles sont en effet aussi tenaces que nombreuses. Quand Hugo a une fois pris en affection un hémistiche de Virgile, il ne l’abandonne plus. C’est un spectacle curieux que de voir ce que devient entre ses mains, au cours des années, une de ses citations chéries. Voici, par exemple, dans le tableau de la forge des Cyclopes, l’expression célèbre par laquelle le poète latin définit l’un des élémens qui entrent dans la composition de la foudre, « trois rayons de pluie tordue, » tres imbris torti radios. Cette expression est alléguée par Hugo en 1824, dans une discussion avec Hoffman ; elle est reprise en 1827 dans la préface de Cromwell ; elle revient en 1832 dans la plaidoirie pour Le roi s’amuse, et aussi dans la préface des Voix intérieures, légèrement modifiée ; elle est à coup sûr pour quelque chose dans ces vers philosophiques de la Dernière gerbe et de Dieu :