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récemment, un de nos meilleurs latinistes, M. Samuel Chabert, étudiait brièvement l’œuvre du poète romantique comme « un exemple d’influence virgilienne, » non sans avoir dressé un consciencieux et suggestif catalogue de toutes les citations, traductions, imitations et appréciations par lesquelles cette influence se manifeste. La thèse de M. Guiard, plus étendue, plus minutieuse, — avec un peu de délayage parfois, — aboutit en somme à des conclusions identiques. Ce sont ces conclusions, intéressantes à plus d’un titre, que nous voudrions essayer de dégager ici. Elles nous permettent de suivre, jusqu’en un temps très rapproché de nous, les destinées de la poésie latine, dont l’action se décèle ainsi comme s’étendant bien au-delà de notre siècle classique. Elles nous découvrent une des sources, non pas la seule à coup sûr, mais une des plus importantes parmi celles qui ont formé le beau fleuve large et bouillonnant de la poésie hugolienne. Elles éclairent enfin d’un jour nouveau un curieux problème de psychologie littéraire, en nous rappelant ce qui subsiste de traditionalisme plus ou moins avoué dans les révolutions poétiques les plus audacieuses.


I

D’abord, à ne prendre l’œuvre de Victor Hugo que par son aspect extérieur, il est indéniable que Virgile y occupe une très grande place. M. Chabert compte chez le poète français une douzaine de traductions des poèmes virgiliens (dont quelques-unes assez longues), plus de cent cinquante citations, et plus de quatre cents réminiscences et paraphrases. Avec M. Guiard, on arriverait, semble-t-il, à un total plus élevé, trop élevé même, et ici il importe de prévenir une confusion. On est aisément tenté, lorsqu’on s’applique à retrouver chez un auteur les traces d’une influence quelconque, de les apercevoir partout, là même où des yeux moins prévenus ne les discernent pas. M. Guiard n’a pas toujours résisté à cette envie d’avoir trop raison. Parmi les rapprochemens qu’il établit entre certains vers de Victor Hugo et certains vers de Virgile, il en est plusieurs qui sont vraiment un peu bien forcés. Lorsque, dans les Orientales, le vizir Reschid regrette le temps où il avait sous ses ordres


Quarante agas contemplant son visage
Et d’un sourcil froncé tremblant dans leurs palais,