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du triomphe, et se montre d’autant plus heureuse qu’elle avait été plus triste auparavant[1].

Nous saisirons cette occasion pour dire qu’il n’y eut pas de style Jésuite, ou plutôt qu’il y eut deux styles Jésuite. Il y en eut un premier qui est celui de la Contre-Réforme, style dans lequel ont été construites presque toutes leurs églises en Italie et en France ; et il y en eut bientôt un second, le Baroque et le Rococo, qu’ils ont adopté comme tout le monde, mais sans le créer, et c’est à cette seconde forme d’art qu’on donne ordinairement leur nom.

On a raison de donner aux arts de cet âge le nom d’un ordre religieux ; on met ainsi en évidence l’importance des grands ordres monastiques et en particulier de celui des Jésuites ; mais cette appellation a l’inconvénient de confondre sous un nom unique deux formes d’art très différentes l’une de l’autre, et surtout elle laisse supposer que cet art a été créé par les Jésuites, et apporté par eux d’Espagne, au lieu d’être, comme il l’est réellement, le produit exclusif de la pensée romaine.

Les Jésuites sont venus d’Espagne avec la règle austère qui convenait à une armée de combattans. Leur fondateur est un soldat, qui pense en soldat, et c’est ce trait essentiel de leur ordre qui, sans doute, les rend dès le début si sympathiques à la Papauté. Ils sont bien les hommes qu’il faut pour combattre, pour vaincre, pour ramener les peuples à une conception plus grave de la vie, pour lutter contre le sensualisme de la Renaissance. Pendant tout un demi-siècle, ils n’ont cessé d’être les fidèles serviteurs des Papes de la Contre-Réforme ; et leurs églises ont l’austérité de leur doctrine. Mais plus tard, quand la Papauté renonça à son rigide ascétisme, lorsqu’elle effaça des églises toute marque de tristesse pour en faire des monumens d’allégresse et de joie, alors les Jésuites se transformèrent et ils modifièrent leur art pour se conformer aux volontés de la

  1. Je citerai d’autres églises où l’on peut faire la même observation. La Chiesa nuova, construite si sobrement par Martino Lunghi, a été un demi-siècle plus tard toute couverte des plus riches ornemens par Pierre de Cortone. L’église de Sainte-Marie de la Victoire ne représente plus en rien le style de Charles Maderne, tellement elle a été modifiée par le Bernin et ses successeurs. A Sainte-Marie dell’ Orto, on peut suivre progressivement, de la nef à la croisée du transept et au chœur, le mouvement qui entraine les esprits vers le luxe du décor et le voir aboutir là à l’un de ses plus éclatans triomphes. Enfin je n’ai pas à rappeler le décor par lequel le Bernin a si complètement transformé le Saint-Pierre de Michel-Ange et de Maderne.