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de la pensée chrétienne, fut le caractère de tristesse provoqué par les invasions étrangères et l’hérésie du protestantisme, caractère qui se manifesta d’une façon saisissante par la disparition de l’ornement, de toutes les formes décoratives si gracieuses qui tenaient tant de place dans l’art de la Renaissance. Ces ornemens disparurent d’autant plus complètement qu’ils ne pouvaient plaire aux papes de la Contre-Réforme, non seulement en raison de leur caractère de joie, mais parce qu’ils n’avaient aucune signification chrétienne et ne rappelaient que des formes et des pensées païennes. Si l’on considère la Tombe de Jules II, on sera frappé de voir que la partie inférieure faite au début du siècle est encore toute couverte d’une dentelle d’ornemens, tandis que la partie supérieure, achevée trente ans plus tard, est de la plus désolante nudité. De même, les Tombeaux des Médicis, au moment où ils furent conçus sous Léon X, étaient, dans la pensée de Michel-Ange, un somptueux poème de joie, et c’est seulement dans leur exécution, après le sac de Rome et le siège de Florence, qu’ils devinrent l’œuvre de désolation que nous avons sous les yeux[1].

En renonçant à l’ornement, les architectes ne renoncèrent pas à toutes les formes de la Renaissance ; ils en proscrivirent le décor, mais ils en conservèrent toutes les formes purement architecturales. Et en employant ces formes dépouillées de toute la parure qui faisait leur charme, ils aboutirent à un art de la plus grande froideur, à l’art même qui plaisait à la sévérité de cette époque. Et, pour justifier et défendre cette conception, les artistes échafaudèrent une théorie nouvelle de l’art. Ces ornemens qui ne leur plaisent plus, ils les considéreront comme des hérésies, comme des formes non seulement inutiles, mais nuisibles, détournant l’esprit des lignes essentielles qui seules comptent à leurs yeux. Ce sera sans doute une doctrine ayant sa valeur, qui créera de grandes œuvres et conservera des partisans jusqu’à nos jours, mais qui a le tort d’éliminer systématiquement de l’art tout ce qui vise au plaisir des yeux, de concevoir une architecture d’où toute joie a disparu. Vignole fut le théoricien de cet âge, le puritain qui enferma l’art dans les règles les plus austères, et qui, à vouloir être trop logique,

  1. Voyez mon article : L’Architecture des Tombeaux des Médicis, dans la Gazette des Beaux-Arts, 1908.