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énergiques. Elles devaient le prouver l’une devant la mort, l’autre par la fermeté qu’elle déploya après le 9 thermidor, devant le tribunal réparateur qui vengea ses parens en condamnant leurs bourreaux. Il est donc probable que, lorsqu’ils se présentèrent pour les arrêter, leur attitude fut digne et courageuse. Mais, devant la force, elles ne pouvaient rien.

Le citoyen Chrétien se montra particulièrement impitoyable. La marquise de Cornulier était grosse de sept mois. Dans l’intérêt de ses trois enfants dont l’aîné n’avait pas cinq ans et de celui qu’elle portait, elle demanda à rester dans sa maison sous la garde d’un gendarme. Mais sa jeunesse, ses prières, les supplications de sa mère et de son mari furent impuissantes ; le tigre ne se laissa pas attendrir. On emmena ces infortunés après avoir mis les scellés sur leurs appartemens et en avoir fait sortir les petits êtres qui eussent été à la rue sans le dévouement d’une femme de chambre qui se chargea d’eux et leur assura un asile. Quelques instans après, les quatre prévenus étaient écroués à la prison dite des Anglaises, située rue de Lourcine, sans qu’aucun fait délictueux ou criminel eût pu être allégué contre eux. Ils expiaient leur parenté avec Magon de la Balue.

Pour les femmes et pour le jeune Bertrand de Saint-Pern, c’était monstrueux. Ce n’était pas moins injuste pour le marquis de Cornulier. Bien qu’il n’eût que vingt-trois ans et fût frêle et maladif, il avait donné depuis les débuts de la Révolution maintes preuves de son civisme. Il pouvait produire comme preuves non seulement des certificats de non-émigration, mais encore deux actes officiels constatant, l’un, qu’il avait prêté le serment décrété par l’Assemblée nationale le 10 août 1792, l’autre, qu’enrôlé volontairement en 1789, dans la garde nationale, il n’avait cessé d’y servir et de témoigner de son zèle pour la cause publique, « ce qui lui avait mérité l’estime de ses frères d’armes. » Mais ces attestations qui plaidaient en sa faveur devaient être vaines, et victime, comme tous les siens, de la haine qu’inspiraient les nobles et les riches, sa tête était promise au bourreau. Quand on l’arrêta, il était comme eux déjà condamné.


ERNEST DAUDET.