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milieu de la nuit, le citoyen Morin, délégué du Tribunal militaire de Saint-Malo, se présentait au château de la Chipaudière et mettait sous scellés les papiers du châtelain. Il revenait le lendemain, afin de les examiner. Après cet examen, il se retirait en laissant entendre à Magon de la Lande qu’il pouvait se rassurer. Mais, six jours après, il revenait et procédait à un nouvel examen des papiers, plus rigoureux que le précédent, Cette fois encore, il ne découvrait rien de suspect, ainsi qu’en fait foi le procès-verbal qu’il dressa à la suite de sa perquisition. Magon de la Lande pouvait donc se croire sauvé. Mais c’était une illusion que détruisit le citoyen Morin, en lui déclarant qu’il avait ordre de l’arrêter et de l’envoyer à Paris. Il est aisé de se figurer la scène de désespoir qui suivit cette déclaration. Mme Magon de la Lande était là avec ses enfans. Le chef de famille fut emmené au milieu de leurs cris et de leurs larmes.

C’est dans ces circonstances que se produisit un incident qui donne à ces scènes douloureuses un caractère romanesque et touchant. Le détachement militaire dont s’était fait accompagner le citoyen Morin, lors de sa première perquisition à la Chipaudière, était commandé par un jeune lieutenant nommé Félix Besnier. Pris de pitié pour cette famille désespérée, l’officier s’efforça d’atténuer dans l’exécution la rigueur des ordres que lui donnait le citoyen Morin, et c’est probablement grâce à lui que Magon de la Lande ne fut pas arrêté ce jour-là. La seconde des demoiselles Magon de la Lande, alors âgée de seize ans, devina que sa grâce juvénile et ses beaux yeux avaient exercé leur pouvoir sur le lieutenant Besnier et que l’humanité dont il faisait preuve s’inspirait de la sympathie subite et de l’admiration qu’il avait conçues pour elle. L’absence d’une documentation précise laisse planer quelque confusion sur cet épisode et ne permet pas d’établir si ce fut alors ou seulement plus tard que Mlle Magon de la Lande s’engagea à épouser le jeune homme dont les sentimens avaient leur source dans les malheurs dont il venait d’être le témoin. Ce qui est certain, c’est qu’elle l’épousa en 1798. À cette date, ayant quitté l’armée, il s’était jeté dans le parti royaliste. On le trouve mêlé à un complot qui d’ailleurs avorta et qui avait pour but de livrer aux Chouans la ville de Saint-Malo. Acheva-t-il ainsi de gagner le cœur de Mlle de la Lande ou le lui avait-elle donné dès leur première rencontre,