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séjourné longtemps, bien qu’on le voie s’efforcer d’affirmer son civisme par des dons patriotiques. Effrayé par les dangers que présentait la ville et peut-être aussi parce qu’il avait l’habitude de passer la belle saison à la campagne, dans son domaine de la Chipaudière, commune de Cancale, il alla s’y installer dès les premiers jours du printemps, et son père ne tarda pas à l’y rejoindre. Resté seul à Tilly, le vieillard avait cessé de s’y croire en sûreté et préféré revenir chez ses enfans. Mais, en arrivant à la Chipaudière, il tombait malade, et il y rendait le dernier soupir le 4 novembre, à l’âge de soixante-dix-huit ans. Sa maladie avait retenu son fils et sa bru dans leur terre plus longtemps qu’ils n’étaient accoutumés à y rester. D’autre part, la Terreur qui régnait à Saint-Malo n’en rendait pas le séjour enviable et leur deuil fut le prétexte qu’ils alléguèrent pour n’y pas rentrer. Ils avaient auprès d’eux leurs six enfans, à savoir : la jeune comtesse de Saint-Pern-La Tour, dont le mari était absent, ses quatre sœurs non mariées, dont l’aînée avait dix-huit ans et la plus jeune quatorze, et un garçon qui venait d’atteindre sa dixième année.

Un peu plus tard, après son arrestation et son transfert à Paris, lorsque de la prison de la Force où il était détenu depuis quarante jours, il écrivait au Comité de Sûreté générale pour protester de son innocence et réclamer sa mise en liberté, Erasme Magon traçait dans sa lettre le tableau de ce qu’était son existence au moment où la loi l’avait frappé.

« Aimé, estimé de mes concitoyens, ne me mêlant en aucune manière des affaires de l’Etat, occupé de l’éducation de six enfans, retiré à la campagne où je partageais mon temps entre ma nombreuse famille et les détails champêtres qui faisaient la plus grande partie de mes occupations, faisant des vœux continuels pour la gloire et le bonheur de ma patrie, venant à son secours dans toutes les circonstances par des dons réitérés et qu’il serait trop long de détailler, je croyais pouvoir me flatter d’être à l’abri des orages et surtout de la calomnie. Mais quel est le mortel qu’elle ne peut atteindre ? »

Cette lettre ne disait rien qui ne fût la vérité : à l’appui de ses affirmations, Magon de la Lande pouvait énumérer les dons très nombreux qu’il avait déjà faits à la patrie, en argent, eu armes et eu munitions. Mais ces preuves de son civisme devaient être impuissantes à préserver sa vie. Le 3 décembre, au