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Comité de Sûreté générale ordonnait les mesures qui vouaient fatalement ces infortunés à la mort, il n’existait contre eux aucune charge qui fût de nature à légitimer cette décision. On ne pouvait même invoquer les raisons qu’on formula plus tard lorsque, le 7 prairial, en levant les scellés qu’on avait mis chez Magon de la Balue au moment de son arrestation, on découvrit, parmi ses papiers, des lettres d’émigrés et, dans ses comptes, la preuve qu’il avait envoyé de l’argent à plusieurs d’entre eux. Bien qu’à l’exception d’une somme de 600 000 francs qu’il avait fait passer au Comte d’Artois, à titre de prêt, tous ces envois d’argent semblent avoir constitué des remboursemens auxquels il ne pouvait se soustraire, et dont, malheureusement pour lui, il avait eu le tort de conserver les preuves, ils l’avaient fait tomber sous le coup de la loi. Mais il fallait la volonté de le perdre pour en conclure qu’il avait ourdi une conspiration contre la République. En tout cas, la découverte de ces pièces compromettantes n’avait pas encore eu lieu quand on l’arrêta. Il faut donc en revenir à l’appréciation de Berryer père qui, dans ses Souvenirs, déclare formellement que la poursuite dirigée contre les Magon n’eut d’autre cause que le désir de s’emparer de leurs biens.

D’autre part, tout porte à croire qu’il y eut à cet effet un coup monté dans le bas personnel qui s’agitait au tour des Comités et plus particulièrement de celui de Sûreté générale. A cet égard, les Mémoires de Sénart, encore qu’il convienne de n’en pas accepter sans contrôle tous les dires, sont terriblement suggestifs et autorisent à accuser l’odieux personnage qui exerçait avec lui les fonctions de secrétaire du Comité, le sinistre Héron. Longtemps, on ne l’a guère connu que par ce qu’en dit Sénart et celui-ci pouvait être soupçonné d’avoir, en traçant le portrait de son collègue, assombri les couleurs, afin de le rendre plus odieux encore. Mais la découverte, faite récemment par mon confrère M. Lenôtre, de papiers ayant appartenu à Héron, a prouvé que Sénart n’a rien exagéré. Lorsque, par exemple, il raconte qu’irrité par ses infortunes conjugales, Héron est venu lui demander de faire figurer sa femme sur une liste de suspects destinés à la guillotine, il n’invente pas ; il est parfaitement vrai qu’à l’occasion des poursuites dirigées contre les Magon, Héron lui a tenu des propos effroyables.

— Ma femme est une conspiratrice, lui a-t-il dit ; elle est