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des libertés communales et provinciales : de sentir que ces populations, ultramontaines en majorité, allaient obtenir quelque autonomie, cela faisait mal à Sybel ; et puisqu’elles osaient se prononcer contre le Culturkampf, il fallait à ses yeux achever de les faire taire, au lieu de multiplier pour elles les moyens de parler. Même Sybel ne cachait pas que les libéraux du Rhin avaient désormais en haine l’élection du Reichstag par le suffrage universel. Il déplaisait à ces libéraux que les bulletins de vote s’égarassent en certaines mains, qui, sous l’œil des prêtres, se joignaient encore pour des prières. Adieu donc les progrès politiques, si imminens qu’ils parussent ! Adieu, même, les conquêtes déjà faites, si définitives qu’on eût pu les croire ! Le « libéralisme » de Sybel et de ses amis ne visait à rien de moins qu’à expulser la volonté populaire, parce que catholique, de la vie même de l’État ; et c’était pour lutter contre l’Église de Pie IX. — de Pie IX, jadis accusé d’hostilité contre la souveraineté du peuple, — que Sybel voulait amputer et mutiler cette souveraineté. « Peut-on concevoir un plus grand triomphe pour le Centre ? » s’écriait un député progressiste après le maladroit discours de Sybel.

Les catholiques écoutaient, curieux et contens ; et j’aime à croire que si l’on eût demandé l’affichage de ce discours de Sybel, ils l’eussent voté. L’Association allemande, fondée contre eux, professait ainsi, publiquement, des maximes de réaction politique ; elle refusait au peuple les droits qu’il désirait, elle lui marchandait ceux qu’il possédait, elle apparaissait comme l’antagoniste des aspirations populaires. Les catholiques aimaient que ceux contre lesquels ils luttaient pour Dieu leur offrissent des occasions toujours plus pressantes de lutter aussi pour le peuple : Sybel commettait cette maladresse, d’afficher la solidarité très exacte, très nette, par laquelle se rattachaient l’une à l’autre, et s’enchevêtraient ensemble, l’offensive anticatholique et la résistance antidémocratique. Le Centre en prenait acte. Le Culturkampf avait d’abord mis en péril les libertés religieuses conquises en 1848 ; il fut acquis, au cours de l’année 1875 ; qu’il mettait en péril les libertés politiques elles-mêmes.


GEORGES GOYAU.