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criminel était expédié à tous les gendarmes du royaume. Ce signalement était ainsi conçu :


Nom et prénom : docteur Conrad Martin ; habitation : Wesel ; profession ou état : autrefois évêque de Paderborn ; religion : catholique ; âge : soixante-trois ans ; taille : 5 pieds 6 pouces ; cheveux : gris et rares ; barbe : rasée ; front : haut ; sourcils : gris ; yeux : gris ; nez : long ; bouche : ordinaire ; dents : défectueuses ; menton : long ; visage : long ; couleur du visage : bonne mine ; stature : élancée ; pas de signes particuliers. « Secrètement évadé » de Wesel.


Martin, en effet, cherchant un territoire d’où il pût avec moins d’entraves expédier ses ordres d’évêque, s’était enfui de Wesel en Hollande. La colère de la Prusse l’y poursuivait ; la Hollande lui faisait comprendre qu’il eût à partir. Il s’installait en Belgique, et le Cabinet belge, aussi, recevait des observations. En quelque coin du monde que l’évêque Martin se trou-val, la Prusse redoutait l’évêque Martin. Quelque temps se passait, et les routes de Hollande étaient bientôt foulées par un autre nomade, un archevêque, celui-là, Melchers, de Cologne, également déposé de son siège.

Mais en vain la Cour royale enlevait-elle à ces évêques leur charge et même leur pays, elle ne leur enlevait pas leurs ouailles. Ni le Pape ni le peuple ne cessaient de les reconnaître, et cela leur suffisait. Ledochowski, lui, après une longue captivité dans la prison d’Ostrowo, reçut la nouvelle qu’il ne pouvait séjourner ni en Silésie ni en Posnanie : il s’en fut à Vienne, où les catholiques lui firent fête, et d’où les clameurs « libérales » l’obligèrent à disparaître : et ce fut de Rome, ce fut du fond même du Vatican, qu’il fit fonction d’archevêque de Posen, et s’attira par là même des condamnations nouvelles et désormais platoniques, dont le montant s’éleva bientôt à cinquante-cinq mois de prison. La Prusse, fouillant pour ses évêques l’arsenal de ses pénalités, leur avait appliqué l’une des plus dures : l’exil ; et par cette maladroite cruauté, elle avait rendu leurs personnes plus insaisissables sans rendre leur autorité plus débile. Ils s’acharnaient à régner chez elle, et elle ne régnait plus sur eux : c’était de Belgique et de Hollande, de Bohême et d’Italie, qu’ils présidaient à la résistance de leurs prêtres et de leurs fidèles contre les lois de Bismarck.

Alors la Prusse voulut trouver, à tout prix, les invisibles points d’attache par lesquels ces émigrés gardaient encore racine