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mésaventures et parfois honte de leur besogne elle-même. « Respect à cet homme, il est debout pour son drapeau ! » disait un jour un officier qui voyait arrêter un vicaire. Bravant l’ostracisme, le prêtre se dissimulait dans quelque maison amie ; cette maison s’animait discrètement, une fois la nuit close ; à minuit, l’heure des crimes, on y venait se confesser, communier, se marier, et les couples renonçaient pour quelque temps à porter au doigt les bagues d’accord, afin de mieux cacher aux indiscrets qu’il y avait dans le village quelqu’un qui les avait bénites. Une fois l’on vit un père prendre le cercueil, ouvert encore, où reposait son enfant, et courir tout le long des chemins, pleurant et furtif, jusqu’à la cachette du curé, pour qu’une bénédiction planât sur cette dépouille. Mais il y avait des malades, des mourans : fuyant sa cachette, le prêtre se glissait jusqu’à eux, au risque d’être saisi par les gendarmes, en flagrant délit. Les familles faisaient le guet, écartaient les délateurs, s’effaçaient au moment des onctions suprêmes, afin de ne pas avoir vu l’administration du sacrement, l’acte effectif de culte, passible de prison ; le délit du prêtre, — ce délit sur lequel, peut-être, enquêteraient bientôt des magistrats, — n’aurait ainsi d’autre témoin que l’agonisant ; il serait bientôt couvert par le silence de la tombe, et ce serait devant Dieu, devant lui seul, que ce mort porterait témoignage, pour le prêtre audacieux.

La veille de chaque dimanche ou de chaque fête majeure, c’était grande corvée pour les gendarmes : ils se tapissaient à l’entour des villages, pour voir si les prêtres expulsés cherchaient à rentrer. Le vicaire Kerpen, que l’évêque de Trêves avait nommé à Dieblich et que l’Etat en expulsait, se fit une gloire, pour l’aisance souveraine et victorieuse avec laquelle il savait se faire cacher, tantôt par ses confrères, tantôt par les mariniers de la Moselle, et puis, à l’aube du dimanche, surgir à Dieblich, on ne savait d’où ni comment, pour dire la messe. L’odyssée de ce vicaire montre avec éloquence comment l’application des lois bismarckiennes se heurtait à la mauvaise volonté de tout un peuple, et comment les rouages de ces lois absurdes, si bien montés fussent-ils, grinçaient, se détraquaient, finissaient par s’arrêter. Un gendarme, cueillant Kerpen après sa messe illégale, l’emmenait à Coblentz. L’inspecteur de la prison voulait le mettre au violon, avec tous les garnemens ramassés dans les rues ; mais voilà que les soldats eux-mêmes