Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/324

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’une sacoche et qu’un bâton, pour secouer le monde. Quelques semaines se passaient : de créancier, l’État devenait geôlier : il poussait en prison ce récalcitrant. De par les mêmes lois qui motivaient cette condamnation, aucun autre prêtre ne pouvait, dans le village, commettre un acte sacerdotal. Plus de baptêmes, plus de messes, plus de confessions, plus d’extrêmes-onctions, plus de bénédictions des tombes. Les fidèles allaient à la sacristie chercher la croix pour conduire les morts à leur dernière demeure ; au cimetière, ils murmuraient trois Pater, et puis, s’en revenaient à l’église dire le rosaire pour le curé séquestré.

Les prisons s’emplissaient de prêtres. Dans celle de Coblentz, un quartier spécial était organisé pour eux. La consigne, d’abord, leur prohiba de célébrer la messe, parce que l’Etat ne les reconnaissait pas comme légitimement appelés aux ordres. A la longue, sous les yeux complaisamment clos d’un gardien catholique, ils se risquaient, entre cinq et sept heures du matin, à transformer leurs cellules en chapelles : tous les dix jours, lorsque le gardien avait son congé, c’est dès trois heures du matin qu’ils perpétraient leur religieuse contravention. Il advint une fois que la surveillante de la prison des femmes aperçut trop de lumière, avant l’aube, dans les cellules des « noirs ; » le bon geôlier, prévenu, apporta de la toile verte, qui masquait les fenêtres, et qui tout en même temps faisait baldaquin, pardessus la rudimentaire pierre d’autel.

Ces liturgies clandestines exaltaient les âmes : sans rhétorique, on évoquait les catacombes. Les avenues de la prison étaient bien gardées ; les prêtres ne voyaient se glisser vers eux aucun membre de leur petite chrétienté délaissée. Mais parfois, dans l’après-midi, à un certain carrefour de Coblentz, se formaient de discrets attroupemens : les yeux s’y tournaient vers certaine fenêtre de la prison, où se dressait parfois une stature d’ecclésiastique : c’étaient de petits groupes de paroissiens, et, sans troubler la paix publique, l’éloquente fixité de leurs longs et lointains regards criait au prisonnier confiance et bravo. Il n’était pas rare que ces ouailles orphelines subvinssent à la nourriture de leurs pasteurs. Un vicaire de Neunkirchen apprit un jour au fond de sa prison que 100 thalers étaient survenus pour l’amélioration de son ordinaire ; c’étaient quelques indigènes de Neunkirchen, devenus mineurs en Amérique, qui d’au-delà de l’Océan lui envoyaient ce réconfortant souvenir.