Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/304

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

anti-infaillibilistes, vous auriez pu préserver la patrie contre les troubles que pressentaient vos propres cris d’alarme et que maintenant nous déplorons avec vous.

Les 16 et 17 mars, le Landtag discuta. « Où sont vos succès dans le Culturkampf ? » demandait à Bismarck le vieux Gerlach ; il reprenait le texte de l’apôtre Paul : « Mieux vaut obéir à Dieu qu’aux hommes, » et proclamait, au nom même de la liberté évangélique, que s’il y avait des citoyens à qui ce devoir s’imposait d’une façon plus expresse, c’étaient assurément les évêques. Mais Bismarck, fidèle à sa notion de Dieu et à sa notion de l’Etat, opposait à Gerlach une sorte de profession de foi : « Je crois obéir à Dieu, lui disait-il, quand je sers le Roi pour la défense de la communauté politique dont il est le monarque par la grâce de Dieu, et dont il doit, en vertu d’un devoir imposé par Dieu, sauvegarder la liberté contre l’oppression spirituelle étrangère. » Bismarck, au moment où il allait frapper un coup dont tous les prêtres d’Allemagne sentiraient la cruauté, s’affichait ainsi comme l’ouvrier de l’œuvre de Dieu. Ayant conçu Dieu comme protecteur de l’État, ayant conçu les intérêts de l’Etat comme identiques aux volontés bismarckiennes, il en venait à considérer les ennemis de sa politique, croyans protestans tels que Gerlach, ou croyans catholiques tels que Windthorst, comme les ennemis de Dieu.

C’est en vain que Windthorst s’insurgeait, au nom de la morale elle-même, contre cette tactique qui spoliait les prêtres pour les dompter ; Dieu n’apparaissait pas à Bismarck comme le garant d’une morale supérieure, mais bien plutôt comme le garant des égards dus à la raison d’Etat. Windthorst prévenait le chancelier que, même après cette loi, le Centre persisterait dans son attitude ; et Bismarck alors ripostait par un éloge du Culturkampf. « Au cours de cette lutte, expliquait-il, on avait serré les rangs : de même qu’Henri l’Oiseleur, dix années durant, avait exercé l’esprit de ses guerriers, avant de tailler en pièces les Hongrois sur les bords du Lech, de même le Culturkampf affermissait, dans les cerveaux prussiens, cette conviction qu’il était besoin d’un État fort. Avec le temps, continuait-il, nous n’aurons plus que deux grands partis, pour ou contre l’État. » Il feignait d’oublier que le projet même qu’il présentait attestait l’échec des précédentes lois ; il constatait que chez la plupart de ceux qui « voulaient sincèrement l’État, » le sens