Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/97

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mouvement socialiste en France ne se font pas d’illusion sur la portée et le résultat de ces entreprises. Ils ont vu, dans le Midi, les syndicats de vignerons échouer lamentablement ; dans le Nord, dans les Landes, les organisations d’ouvriers agricoles se dissoudre, à peine constituées. Si, dans d’autres régions, quelques groupemens montraient plus de vigueur et de résistance, c’étaient des syndicats de bûcherons ou de jardiniers, moins agricoles qu’industriels. Les coopératives se développaient rapidement parmi les paysans, les fermiers et les petits propriétaires : mais l’action socialiste était presque totalement étrangère à ce progrès, où il fallait voir surtout un résultat pour ainsi dire fatal des conditions économiques nouvelles. Le jour où l’on voudrait propager en France le socialisme agraire, il ne suffirait pas de gagner à la cause collectiviste quelques coopératives, ou d’enrôler dans des syndicats un certain nombre de journaliers : c’est à la petite propriété qu’il faudrait s’en prendre.

Il était entendu, entre socialistes, que la grande propriété devait absorber la petite, que les nécessités nouvelles de l’agriculture imposeraient le groupement des terres en vastes domaines, et que la supériorité économique des grandes exploitations entraînerait en peu de temps la ruine et l’anéantissement des exploitations paysannes. Dès que la concentration serait opérée, l’expropriation deviendrait possible : des syndicats d’ouvriers agricoles, transformés en coopératives de production, se substitueraient aux grands propriétaires. L’événement n’a pas jusqu’ici confirmé ces prévisions. Rien ne semble prouver que les nouvelles conditions de l’agriculture soient moins favorables à la petite exploitation qu’à la grande, et de fait, ni le nombre ni l’importance relative des petites propriétés ne tendent en France à diminuer. Or les socialistes français ne sont point d’accord sur l’attitude à tenir vis-à-vis des petits propriétaires. Quelques-uns, les plus avisés, affectent de voir en eux des prolétaires authentiques, qui travaillent pour vivre, non pour s’enrichir ; en conséquence, ils déclarent que l’expropriation devra les épargner. Les autres, les plus logiques, proclament la nécessité de combattre l’instinct individualiste partout où il se trouve, dans les milieux agricoles comme dans les milieux industriels, et traitent le petit propriétaire en ennemi dangereux. Ce désaccord traduit surtout des différences de méthode politique ou de