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condition de la neutralité belge. Cependant le gouvernement hollandais a songé à fortifier de nouveau Flessingue ; un projet a été préparé, et il était déjà assez vivement discuté en Hollande, lorsque la discussion s’en est étendue beaucoup plus loin, d’abord en Belgique comme il était naturel, puis dans l’Europe entière. Là encore quelques paroles de M. Pichon ont servi, bien à tort, à alimenter les polémiques. Interrogé par M. Delafosse sur ce qu’il pensait de la question, M. Pichon s’était contenté de dire qu’elle intéressait toutes les puissances garantes de la neutralité belge, et que si ces puissances jugeaient utile d’en causer, il ne se refuserait pas à ces conversations qui devraient garder d’ailleurs un caractère tout amical. Rien de plus correct que cette déclaration : pourtant les journaux pangermanistes l’ont dénoncée comme un acte de défiance à l’égard de l’Allemagne qu’on soupçonnait d’avoir conseillé la Hollande dans cette affaire : seule en effet, elle avait intérêt, si elle violait un jour la neutralité belge, à fermer l’Escaut à l’Angleterre. Les arrière-pensées qu’on attribuait à l’Allemagne ne reposent pas seulement sur des invraisemblances, mais il serait tout à fait injuste de les imputer aussi à la Hollande, qui est parfaitement libre de songer à sa propre défense et de prendre, pour l’assurer, les mesures qui lui conviennent : tout ce qu’on peut lui demander, c’est que l’Escaut reste ouvert à ceux qui viendraient défendre la neutralité belge. Il n’en est pas moins vrai que, dans les circonstances actuelles, fortifier Flessingue est un acte qui serait de nature à créer des malentendus, s’il n’était pas précédé de déclarations tout à fait claires et rassurantes.

N’a-t-on pas, toutefois, un peu exagéré l’importance de la question ? Elle a fait couler énormément d’encre dans le monde entier ; on aurait pu croire, un moment, qu’il n’y avait pas d’affaire plus grave. En tout cas, elle ne l’est pas spécialement pour nous, car si la neutralité belge était violée, ou menacée, ce n’est pas par l’Escaut que nous aurions à passer pour remplir notre fonction de puissance garante : ce chemin ne serait, pour nous, ni le plus court, ni le plus sûr. Sans doute il n’en serait pas de même de l’Angleterre ; c’est bien par l’Escaut qu’elle devrait envoyer à Anvers des forces de secours ; mais si le fleuve lui était fermé et si l’entente cordiale subsistait, rien ne lui serait plus facile que de s’entendre avec nous pour traverser notre territoire. Et si l’entente cordiale avait à ce moment cessé d’exister, elle ressusciterait aussitôt comme par enchantement. La question de Flessingue montre donc une fois de plus qu’il y a des circonstances où un accord militaire pourrait devenir nécessaire entre Londres et