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A Berlin, la principale nouveauté de la saison a été une « tragi-comédie berlinoise » de M. Gérard Hauptmann, intitulée Les Rats. C’est une œuvre aussi différente que possible du mélodrame historique viennois de M. Schnitzler : désordonnée, confuse, souvent maladroite, mais tout imprégnée de cette profonde vérité humaine qui manquait à l’action comme aux caractères du Jeune Médard. Aussi bien le lecteur français n’est-il pas sans savoir que l’auteur des Tisserands et de l’Assomption d’Hannele Matern occupe aujourd’hui la première place parmi les maîtres les plus applaudis de la scène allemande : à Paris même, d’excellentes traductions de ces deux pièces par M. Jean Thorel nous ont accoutumés à admirer un talent qui rachetait à nos yeux, par son originalité et l’intensité de son émotion poétique, l’apparente gaucherie « théâtrale » de ses procédés. Mais peut-être cette originalité foncière du talent de M. Hauptmann l’a-t-elle conduit, pendant de longues années, à négliger ou à dédaigner trop complètement des principes d’esthétique professionnelle où il ne voulait voir que de simples routines indignes de lui, tandis qu’en réalité nulle vie dramatique n’est possible sans eux ? Toujours est-il que, après l’éclatant succès de ses premières pièces, chacune de ses tentatives suivantes a déconcerté le public allemand. Ni sa « tragi-comédie » du Coq Rouge, ni son Pauvre Henri, ni le singulier « conte de fées » qu’il a fait représenter naguère sous ce titre non moins imprévu : Et Pippa danse ! n’ont obtenu l’accueil qu’avaient reçu précédemment des ouvrages d’une invention déjà bien étrange, tels que la Cloche engloutie ou la susdite Assomption d’Hannele Matern. Tout le monde, pourtant, s’accordait à reconnaître qu’il y avait, dans ces pièces de plus en plus « ratées, » une qualité littéraire plus personnelle et plus haute que dans les anciennes productions de l’auteur. L’observateur et le poète, chez lui, n’avaient point cessé de grandir, mais au détriment de l’écrivain de théâtre ; et le bruit commençait à se répandre que M. Hauptmann, découragé de cette série ininterrompue de « succès d’estime » ou de véritables échecs, allait dorénavant se consacrer tout entier aux genres du roman et de la nouvelle.

Il avait en effet publié, il y a quelques mois, un grand roman où des discussions philosophiques et sociales assez fastidieuses s’entrecoupaient de descriptions, d’analyses, d’effusions lyriques pour le moins égales à ce que ses drames d’autrefois avaient contenu de plus excellent. Mais sans doute ce travail ne lui était apparu que comme une diversion, et sa nouvelle « tragi-comédie berlinoise » est venue,