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de cruauté que Judith, moins de grimaces que Monna Vanna ou que Boule-de-Suif elle-même, à la manière pourtant de ces trois héroïnes, aurait donc obtenu du condottiere la levée du siège et le salut de la patrie. Soit dit en passant, il est permis de ne pas goûter beaucoup cette confusion ou cette équivoque entre deux causes, également admissibles, mais inégalement honorables, du débloquement d’une place forte. Quoi qu’il en soit, c’est à la sainte que va la reconnaissance nationale. Pour en perpétuer l’hommage, commande est faite au jeune et pieux sculpteur Loys d’une statue de la vierge tutélaire, qui s’élèvera sur le parvis de la cathédrale. Or voici que le soir, au clair de la lune, Loys, cherchant son modèle idéal, y rêvant, aperçoit Alix sur sa terrasse et, sans la connaître, tombe en extase à genoux. Elle, qui ne sent pas moins de penchant pour les artistes que pour les militaires, a vite fait de séduire le jouvenceau. L’image votive ne sera point celle d’Agnès, mais celle d’Alix, et n’aura rien d’hagiographique. Au seuil du sanctuaire, l’impure beauté triomphera. Ainsi, par une sorte de revanche ou de reprise sacrilège, la courtisane partagera, ne fût-ce qu’en effigie, avec la sainte, une gloire qu’il est déplaisant encore une fois de voir ainsi disputée et commune.

Devant le porche de l’église, en grande cérémonie, a lieu l’inauguration et la remise de la statue à l’évêque et au chapitre métropolitain. Lorsque tombe le voile de serge et que, sans voile même de pierre, ou peu s’en faut, apparaît la figure impudique, vous jugez de l’effet. L’évêque se détourne, s’indigne et, sur le statuaire comme sur le modèle, il lance l’anathème. Depuis le troisième acte de la Juive et les foudres du cardinal Brogni, jamais ne s’était vu scandale pareil. Cela rappelle aussi, par antithèse, l’histoire de certain feu d’artifice, que M. Cardinal avait commandé républicain et libre penseur, mais dont le « bouquet » inattendu fit éclater et flamboyer ces mots : « Vivent les Jésuites ! » Nous avons ici le pendant ou la contre-partie, plus sérieuse, du feu d’artifice de M. Cardinal.

Un officier, la masse d’armes à la main, s’élance et va frapper la statue. Mais Alix, couvrant de sa beauté vivante l’image de sa beauté, le frappe lui-même d’un coup de poignard. On la saisit et bientôt, condamnée, torturée, elle sera conduite au bûcher avec son complice. Un seul moyen lui reste de sauver Loys. Repentante, pour expier publiquement l’outrage public, qu’elle brise la statue et qu’en effigie elle se punisse et s’immole elle-même. C’est ce que nous voyons au cinquième acte, avec la mise en scène obligée, défilé de pénitens, soldats et bourreau. Du moins nous sommes tout près de le voir. Mais