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malheureux émigrans auxquels leur mauvaise étoile faisait trouver du travail. Cette époque n’est heureusement plus, pendant laquelle on pouvait surnommer une des îles de l’Amazone, île de la Conscience, parce que, avant d’y pénétrer et pour y faire fortune, il fallait laisser sa conscience sur la rive du fleuve.

De plus, l’Europe n’a pas voulu la connaître. Cette région fait partie en effet du groupe des régions malsaines ou dites malsaines, et toutes les régions à altitude basse qui sont voisines de l’équateur sont insalubres, de fait ou de réputation. Le monde a boycotté les pays tropicaux, et l’Amazonie, pas plus que I’Indo-Chine ou le Congo, n’a échappé à ce boycottage équatorial.

Plus loin nous envisagerons en détail ce problème de la salubrité amazonienne. Ce point est capital. Il commande la vie sociale et économique du pays ; disons seulement ici que ce fut à cause de sa réputation d’insalubrité qu’on négligea de l’exploiter.

Aussi comprend-on que de toutes les parties du Brésil, le Matto Grosso et le Goyaz à part, la région amazonienne ait été, malgré ses richesses, la moins exploitée.

Mais à l’industrie européenne il faut chaque jour des produits nouveaux ; chaque jour l’activité européenne a besoin de terrains vierges. Hier un pays n’était pas cultivé parce qu’il était inaccessible. Aujourd’hui on a construit un chemin de fer et on peut l’exploiter ; aujourd’hui une région est abandonnée parce qu’elle est malsaine, mais demain on l’assainira, et après-demain, ce sera un des principaux débouchés de l’activité humaine. Au XVIIIe siècle l’Europe n’avait besoin que d’elle-même ; puis le désir d’expansion naquit et la civilisation mit près de deux siècles à achever la conquête de l’Amérique du Nord. Au milieu du XIXe siècle, malgré l’émigration, temporaire, il est vrai, de la cour de Bragance au Brésil, malgré Bolivar qui, à tout un monde avait donné la liberté, l’Amérique du Sud peu habitée, encore moins exploitée, était méconnue à la fois et inconnue. De nos jours seulement elle est devenue un foyer de civilisation.

Hier, c’était l’Argentine, aujourd’hui c’est le sud du Brésil, demain ce sera la vallée de l’Amazone qui successivement se développent et se passent le flambeau.

Le XXe siècle, et, pour banale qu’elle soit, cette pensée est, je crois, exacte, sera le siècle de l’Amérique du Sud comme le XIXe aura été celui de l’Amérique du Nord ; plus tard ce sera