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l’abondance de tout ce que les anciens, par un pressentiment, ont appelé impedimenta. L’armée avec tous les convois qu’elle traînait à sa suite, marchant sur une seule route, aurait occupé un développement de 200 kilomètres ou 50 lieues. On l’appelait déjà l’armée de Darius. L’encombrement résultant de la difficulté des déchargemens était la principale cause des retards ; cet inconvénient disparaissait dès qu’on marchait en avant ; alors, l’armée s’éloignant, les gares vomissaient ce qu’elles avaient englouti. La pénurie était si peu générale que lorsque l’armée fut en possession de tout ce dont on l’avait comblée, elle ne put plus remuer. On n’avait pas marché afin d’attendre ce qui, une fois arrivé, eût empêché de marcher si on n’eût opéré des amputations[1] !

En une matière sujette à tant de controverses et de confusions, il faut donner à sa pensée une forme en quelque sorte mathématique, afin qu’on ne puisse pas s’y méprendre. Je ne dis pas qu’au 31 juillet, par suite, soit de la lenteur inhérente à notre système de mobilisation, soit à cause de la simultanéité de la mobilisation et de la concentration, soit par l’effet de négligences dans l’exécution, il n’y eût pas encore des manques dans l’administration, dans les objets de campement, dans les ambulances, mais je dis qu’il n’y en avait point dans les canons, dans les fusils, dans les obus, dans les cartouches. Je dis que les manques existans n’étaient que provisoires, parce qu’il y avait indisponibilité et non pénurie, et cette indisponibilité cessait jour par jour, heure par heure. Je dis que ces manques provisoires n’étaient que partiels, et que les télégrammes de ceux qui réclamaient, parce qu’ils n’étaient point pourvus ne comptent pas à côté du silence de ceux, bien plus nombreux, qui ne réclamaient point parce qu’ils étaient pourvus. Je dis que ces manques provisoires et partiels n’étaient pas de nature à empêcher un général vigoureux de pousser son armée en avant. Écoutez-le dire par Thiers. Emporté par son instinct d’historien, il a prononcé ce grave jugement, dans lequel on retrouve

  1. Le sous-intendant Gaffiot, Déposition au procès Bazaine, p. 479. — « M. le maréchal avait été frappé de l’encombrement des routes par suite du nombre considérable des équipages ; les allocations réglementaires qui avaient été fixées au commencement de la campagne, au point de vue des équipages, soit des officiers sans troupes, soit des corps de troupes, étaient un peu élevées ; M. le maréchal jugea indispensable de se rendre plus mobile, et il prescrivit la réduction de ces équipages, qui furent alors réduits de moitié. »