Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/880

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa prédilection aux républicains, en « ouvrant pour la première fois depuis longtemps son œil bienfaisant. »

Personne n’a, plus que ce singulier Jacobin, entretenu Robespierre dans cette sorte de mysticisme déiste que le groupe imposera, nous le verrons, aux agens subalternes à l’heure des passagers triomphes. Personne aussi ne contribue plus à donner à cette religion un caractère sombre et terrifiant. L’infirme qu’aigrit son malheur et auquel ses maux font pousser parfois en pleine assemblée des cris de douleur, ne saurait être un souriant apôtre. Dans ses lettres nous le trouvons hanté jusqu’au délire par la crainte des éternels conspirateurs : « Le nombre des complices est immense… Patience, ajoute-t-il, nous saurons délivrer la République de tous ses ennemis. »

Le vrai séide n’est cependant point Couthon, c’est Saint-Just, qu’on appellerait l’enfant de chœur de cette église (il a vingt-cinq ans en 1794), s’il n’était fort supérieur à Robespierre en intelligence et en talent. « Esprit de feu, cœur de glace, » le mot est de Barère et paraît exact. Ce joli garçon, dont Greuze a laissé un charmant portrait, est « un terrible adolescent. » Les Robespierristes eux-mêmes en gardaient un souvenir terrifiant. « Son enthousiasme résultait d’une certitude mathématique, écrit l’un d’eux, Levasseur de la Sarthe… Pour fonder la République qu’il avait rêvée, il aurait donné sa tête, mais aussi cent mille têtes d’hommes avec la sienne. » L’ex-conventionnel Baudot nous le peint, vibrant et coupant, « ne parlant que par sentences. » Orgueilleux jusqu’au miracle, il « portait sa tête comme un Saint-Sacrement : » ne riant qu’ironiquement, il rebutait et alarmait. Audacieux et inflexible, il dépassait Robespierre, — s’il était possible, — en dogmatisme. Nouveau venu à la « vertu » (il avait, dans sa prime jeunesse, composé un poème érotique et commis plus d’une peccadille), il savait parler de la morale mieux qu’homme du monde. « Voyant des criminels dans tous les dissidens, » dit un conventionnel, il flattait l’idée favorite de Robespierre. Il avait épaulé celui-ci, mais le poussait : moins « légaliste » que Maximilien, il était l’agent des exécutions, « le chevalier porte-glaive, » dit M. Claretie. Il eût renié le Maître, si celui-ci avait faibli.

Quant à Le Bas, son fanatisme a quelque chose d’émouvant. Aveugle lorsqu’il s’agissait de Robespierre, ce jeune Le Bas livre, dans ses lettres à Elisabeth Duplay, sa fiancée, puis sa femme,