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CHEZ LES NOMADES DU TIBET.

notamment de la précieuse chèvre du Tibet ; au Koukou-noor, ce qui lui reste est échangé aux Mongols qui bordent le lac. Cette caravane n’a rien à craindre des tribus qu’elle traverse, moyennant une redevance convenue, mais rien n’empêche les autres confédérations de venir l’attaquer, et, parmi toutes, c’est Samsa qui est le plus à craindre.

N’existe-t-il pas une autre route permettant d’éviter l’embuscade ? Oui, tout près d’ici il y a un gué dans le Petit Fleuve Jaune, devenu ailleurs infranchissable : changeons de rive, et Samsa ne pourra nous atteindre.

Chose facile qu’un passage de gué, même profond, s’il n’y avait à passer que des hommes ! mais il y a nos bagages, qui contiennent nos photographies, nos notes, tant de choses qu’une goutte d’eau perdrait. Un faux pas du yak qui les porte, et nos travaux sont anéantis !

Enfin, nous voilà en sûreté sur l’autre rive. Nous y sommes guidés par le plus joyeux Tibétain que nous ayons rencontré : c’est un bonhomme de soixante-dix ans, à la figure de vieux vigneron bourguignon, — il semble même que son nez bourgeonne légèrement, — avec lequel nous sommes tout de suite devenus amis intimes. Il s’assied sur nos plians, goûte notre thé dans nos timbales, fouille dans nos cantines, et, ravi de faire croire qu’il sait le français, nous imite en appelant nos boys d’une voix retentissante : « Boy-Boy. » Nous lui décernons à lui-même ce beau nom.

Décidément, les Nomades avaient raison de préparer leurs tentes, et il faut croire que la prédiction du temps se fait plus exactement au Tibet qu’en Europe. La température s’adoucit sensiblement, un joli soleil se montre, et voici toutes les marmottes qui apparaissent. Leur nombre est extraordinaire ; partout où le terrain est sec et meuble, on le voit couvert des grandes taupinières, généralement à plusieurs issues, qui sont la demeure de ces animaux. Jusqu’ici, à cause du froid, nous ne les avons guère vus eux-mêmes, mais, en même temps que les Tibétains de leurs tanières d’hiver, calquées sur leurs demeures, ils sortent tous à la fois.

Rien de plus amusant que de les tirer : d’une agilité extrême, car elles ont maigri durant l’hiver, les marmottes jaillissent d’un trou, et presque aussitôt s’enfoncent dans un autre ; il faut une rapidité très grande pour arriver à jeter son coup de fusil,