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CHEZ LES NOMADES DU TIBET.

ouvert, si pastoral, où la vie semble si douce à des hommes qui se rient des frimas. Nous sentons qu’après avoir longtemps erré dans des souterrains et de sombres couloirs, nous sommes parvenus sur la terrasse de l’édifice terrestre, où il n’y a plus qu’à vivre baigné dans le ciel, sans souci des esclaves qui peinent dans les profondeurs. Heureux maîtres du toit du monde !

Mais moins heureux leurs hôtes ! Nous avons beau nous exhorter mutuellement à aller, à la mode du lieu, l’épaule nue, nous sommes décidément encore très loin de ce degré d’entraînement, et nous ne trouvons point trop de superposer des peaux de bique à nos capotes recouvrant des vestons de cuir fourré par-dessus des vêtemens de laine, des tricots et des chemises de flanelle doubles. Car la neige et le vent font rage de plus en plus. Il nous arrive de ne pouvoir lever le camp et de rester enfermés dans nos tentes, tant la tempête est violente. Quelle peine, quand on se décide à partir, pour rouler les tentes congelées, arracher les piquets et les cordes recouverts de deux doigts de glace ! Je plains nos pauvres hommes ; sans l’exemple des Tibétains qui semblent tellement à leur aise, nous aurions peine à maintenir leur moral. D’autant plus que les chevaux leur donnent le mauvais exemple : pas de jour que l’un d’entre eux ne tombe mort sous son cavalier. Si nous n’en trouvions à acheter, je ne sais ce que nous deviendrions.

Une des principales causes de leur fatigue vient d’une extraordinaire disposition du sol que nous rencontrons fréquemment. C’est une argile ferrugineuse imperméable qui, sous l’action combinée du gel, de la fonte et du soleil, s’est craquelée et divisée, à la manière d’un damier irrégulier, en une multitude de mottes, séparées par des cavités pleines d’eau ou de glace. Les animaux du pays passent sans difficulté, posant le pied sur les mottes avec une adresse de chevaux de cirque ; mais pour ceux qui sont venus de Chine, qui mesurent mal leur élan et manquent à chaque pas de culbuter avec leur cavalier, c’est un exercice horriblement ardu, où ils dépensent des efforts exagérés et épuisans.

La tribu de Lai-Wa occupe une succession de villages identiques à celui de Pan-Yu. Cependant, faute de bois, les maisons-tertres sont moins hautes, et les palissades extérieures sont faites en mottes de terre. En même temps que nous, arrive une