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CHEZ LES NOMADES DU TIBET.

notre vue plonge dans l’intérieur. On doit s’attendre, d’après les récits de tous les voyageurs qui ont exploré cette contrée mystérieuse, à une description d’effrayantes montagnes : bien au contraire, la multitude des chaînes qui nous entourent, toutes égales ou supérieures au Mont-Blanc, ne nous apparaissent que comme de faibles collines aux formes arrondies. Nous pourrions ignorer à quelle hauteur nous sommes, si derrière nous, du côté de la Chine, quelques pointes aiguës, surgissant du vide, ne nous révélaient que leur pied plonge dans des profondeurs démesurées, qui nous enveloppent.

Au col de Lang-Kia-Ling nos Tibétains et même nos Chinois ne manquent pas de jeter une pierre sur le latsi. C’est le nom que porte ici ce que les Mongols appellent obo : un amas de pierres s’élevant en pyramide, et formé par les cailloux que les gens pieux y ont déposés en passant. Des perches y sont plantées, où flottent des banderoles portant des invocations pieuses. Contrairement à ce qu’on écrit assez généralement, les latsi ne se rencontrent pas sur tous les cols, loin de là, et d’autre part on en trouve tout autant dans les vallées et dans des endroits quelconques. En l’honneur de qui sont-ils élevés ? pour tous les simples, c’est en l’honneur du Génie du lieu, car Boudhistes ou Ponnbo en réalité sont surtout panthéistes et voient des esprits partout. Aussi nos gens offrent-ils à la divinité de ce col fameux, d’où pour la première fois on aperçoit les montagnes de Chine, de la monnaie d’or et d’argent… en papier, qu’ils ont emportée à cette intention.

Et maintenant nous allons redescendre, — oh ! bien peu ! Nous entrons sur le domaine de la grande confédération des Dzorguè, qui occupe le sommet de la boucle du Fleuve Jaune, au centre des Ngolo, des Ngapa, des Paotso, des Samsa et des Tatseu.

Tous ces peuples seront à redouter puisqu’ils vivent de pillage autant que d’élevage ; seuls les gens de Paotso et la première tribu des Dzorguè, celle de Pan-Yu, sont, pour le moment, en bons rapports avec l’autorité chinoise, et le préfet, conformément à notre demande, les a priés de nous bien recevoir ; mais nous devons surveiller avec une particulière attention nos derrières, car c’est par là qu’arrivent les Ngapa pour enlever les caravanes à destination de Pan-Yu. Les Nomades ne pillent pas leurs voisins immédiats, à moins d’être en guerre