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s’est évaporée, tant l’air est sec, et vif le vent qui passe avant d’être saturé.

Mais elle n’en a pas moins empêché les animaux de paître avant le départ, elle les en prive souvent à l’arrivée, et, tandis que les yaks se sont rassasiés, en marchant, de l’herbe découverte pendant le jour, les chevaux restent à jeun. C’est pourquoi nous avons dû, pour les empêcher de mourir de faim, emporter à leur usage une forte provision de pois secs, nourriture éminemment réconfortante.

Les bois sont nombreux, arbres feuillus dans le fond des vallées, sapins sur les pentes. Personne ne les coupe, le transport étant impossible, et, puisque les pasteurs ne fréquentent pas la contrée, personne n’a intérêt à les détruire. Nous nous demandons même pour quelle raison ils ne recouvrent plus le sol d’une façon continue, ainsi qu’ils ont dû le faire autrefois, car c’est le propre de la sylve de gagner du terrain partout où l’homme ne la combat pas.

L’explication nous est bientôt fournie. Nous trouvons des forêts entières renversées : un feu allumé par quelque chasseur ou chercheur de plantes et mal éteint à leur départ les a embrasées ; puis le vent a déraciné les arbres calcinés : spectacle tragique comme celui d’un champ de bataille où s’entassent les cadavres dépouillés ! Et c’est ainsi, par la négligence de l’homme, que disparaissent les forêts séculaires, et qu’en bien des points déjà les douces vallées voient les eaux ravager les terres que plus rien ne retient : dans quelques centaines d’années, elles seront creuses et dénudées comme celles que nous avons traversées en Chine.

D’ailleurs, voici la fin des forêts et des arbres. À force de monter, nous avons atteint la source de la rivière Min, à 4 250 mètres d’altitude, au col de Lang-Kia-Ling. Un col encore, de 4 300 mètres, celui de Tangoma, et nous pénétrons dans le bassin du Fleuve Jaune. Nous avons quitté la zone de la végétation, — au-dessus de 3 800 mètres nous ne trouverons jamais même un buisson, — et nous avons atteint le domaine des neiges. Sont-elles éternelles ? Je ne le crois pas : leur peu d’épaisseur, dû à l’évaporation, ne doit pas résister au soleil d’août. Mais, bien que nous entrions dans le joli mois de mai, chaque jour la couche est renouvelée.

C’est ici la crête de la grande chaîne bordière du Tibet, et