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CHEZ LES NOMADES DU TIBET.

leurs, manquaient ; leurs attaches étaient coupées au couteau, leurs traces, en compagnie de deux autres inconnues, s’éloignaient dans la montagne : on les avait volés.

Pour un début, c’était complet ! À cinq kilomètres de la frontière, dans notre camp, à trois mètres de la tente des soldats ! Et cependant il y avait une sentinelle dont, durant les intermittences de l’orage, nous avions entendu le cri de veille ; mais sans doute pendant les rafales s’était-elle réfugiée sous sa tente, s’en rapportant au mauvais temps du soin de nous garder. Et notre molosse tibétain qui n’avait même pas aboyé[1] ! Si les choses devaient continuer ainsi, une catastrophe ne tarderait pas.

Cependant ce vol était vraiment si extraordinaire d’audace et d’habileté, il était si singulier que, dans une zone déserte où le bruit de notre entrée n’avait pu encore se répandre, il y eût des voleurs embusqués juste dans notre voisinage, que nous nous demandions si ce n’étaient pas les mandarins qui avaient combiné ce coup pour nous effrayer et nous faire reculer ?

Il s’agissait de montrer un visage énergique. J’écrivis au préfet et au général que, par la négligence de leurs soldats, nos trois meilleurs chevaux nous avaient été enlevés, et qu’eux-mêmes étaient par conséquent responsables de ce vol, qui ne rentrait pas dans les cas de force majeure pour lesquels je leur avais donné décharge. Nous allions continuer notre route, mais s’ils ne prenaient pas les mesures nécessaires pour nous faire restituer nos chevaux, je porterais plainte au vice-roi.

Puis, pour bien prouver que nous ne nous laissions pas intimider et pour donner une sanction à la faute des soldats, je fis lever le camp et réquisitionnai trois de leurs chevaux pour nos cavaliers démontés. Mais, après une courte étape, nous nous arrêtions pour attendre la réponse des autorités.

Elle arriva le surlendemain sous la forme la plus satisfaisante : trois excellens chevaux, que les mandarins nous offraient avec leurs excuses. Ils nous pressaient bien de profiter de cette fâcheuse expérience pour rentrer ; mais on ne pouvait plus galamment nous mettre à même d’agir à notre guise. Ne

  1. Cet animal avait décidé de ne garder que ses propres maîtres, si bien que nous ne pouvions approcher de leur tente sans risquer d’être dévorés, mais ce qui se passait dans le reste du camp lui inspirait la plus complète indifférence. Il nous fut absolument inutile.