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a peut-être sa part, voici que, dans le naufrage de sa raison raisonnante, un autre « ordre » de pensée s’ouvre à son âme désemparée. « Et, pour la première fois, sentant sa pensée impuissante à le soutenir, cet analyste presque inhumain à force de logique s’humiliait, s’inclinait, s’abîmait devant le mystère impénétrable de la destinée. Les mots de la seule raison qu’il se rappelât de sa lointaine enfance : « Notre Père qui êtes aux cieux… » lui revenaient au cœur. Certes, il ne les prononçait pas. Peut-être ne les prononcerait-il jamais[1]… » Le philosophe Adrien Sixte conclut comme le mondain Armand de Querne, et presque plus fermement que lui.


Poser ainsi la question, faire entrevoir non pas seulement comme la seule vraiment humaine, mais comme la seule satisfaisante pour l’esprit, la solution chrétienne de l’énigme du monde et de la vie, c’était décidément rompre en visière avec les idées dont en France on avait vécu depuis près d’un demi-siècle. Non, il n’était pas vrai que la science abstraite fût le tout de l’homme, et selon le mot profond du poète, « il y a plus de choses dans le monde que notre philosophie n’en peut expliquer. » Il n’était pas vrai qu’un penseur eût le droit de se désintéresser des autres hommes, de se retrancher dans son rêve orgueilleux de pensée solitaire, de contempler face à face ce qu’il croit être le vrai et ce qui n’est bien souvent que la projection de son moi sur l’univers. Il n’était pas vrai enfin que toute pensée sincère fût également bonne, car il y a des idées malfaisantes, et qui, tôt ou tard, inspirent des actes condamnables. Telles étaient les conclusions qui, d’elles-mêmes, et soulignées d’ailleurs par une éloquente et patriotique Préface, se dégageaient du Disciple. Elles allaient contre tout l’enseignement de la génération antérieure, tel qu’il se reflétait par exemple, assez fidèlement, dans les premiers livres de M. Barrès. Nous ne savons pas ce que Renan a pensé du Disciple, ni même s’il l’a lu. Mais nous savons ce qu’en a pensé Taine. Pour des raisons peut-être plus profondes qu’il ne croit, « l’effet d’ensemble » de l’ouvrage « lui a été très pénible, je dirai presque, avoue-t-il, douloureux. » Son « opposition vient de ce que le livre l’a touché dans ce qu’il a de plus intime. » « Je ne conclus

  1. Le Disciple, édition originale, p. 317, 329, 359.