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Pour qu’un livre ait pareil retentissement, il doit, semble-t-il, réaliser trois conditions essentielles. Il faut d’abord qu’il soit comme en harmonie préétablie avec la pensée profonde de l’époque, qu’il réponde à un besoin général, qu’il prononce, sur des questions vitales, la parole attendue, souhaitée et déjà balbutiée par tous. Il faut ensuite que l’écrivain réussisse à se mettre tout entier dans son œuvre, qu’il en fasse en quelque sorte son affaire personnelle, et qu’il l’écrive non seulement avec tout son esprit, mais encore avec tout son cœur ; il faut en un mot qu’il nous y livre « toute son âme. » Et il faut enfin qu’il trouve un sujet qui lui rende faciles, qui lui impose pour ainsi dire cette expression intégrale de sa propre personnalité et cette communion d’âme avec ses lecteurs. Je sais peu d’ouvrages qui, à leur heure, aient aussi bien rempli que le Disciple cette triple exigence.

Le sujet, d’abord. On se rappelle la donnée du roman. Le philosophe Adrien Sixte, l’audacieux et tranquille iconoclaste des idoles spiritualistes, a eu pour admirateur fanatique et pour disciple un jeune « intellectuel » du nom de Robert Greslou. Précepteur dans une famille noble, Greslou imagine de tenter une « expérience psychologique » sur la jeune fille de la maison, et moitié par entraînement sentimental et sensuel, moitié par perversion mentale, il entreprend de se faire aimer d’elle. Il réussit dans son abominable dessein, et la jeune fille, séduite, découvrant la vérité du sinistre complot dont elle a été la victime, s’empoisonne de désespoir et de honte. Arrêté comme assassin, Greslou refuse de se défendre. Sixte, à qui il a fait tenir le récit détaillé de sa vie tout entière et qui constate sur le vif la déplorable influence de ses propres doctrines, n’a d’ailleurs pas à intervenir pour témoigner de l’innocence matérielle de son « disciple. » Le frère de la victime, qui sait toute la vérité, se décide à réclamer l’acquittement du jeune homme ; mais, l’acquittement prononcé, il l’abat d’un coup de pistolet. Voilà, certes, une donnée originale, moins exceptionnelle d’ailleurs qu’on ne pourrait croire, puisque deux faits contemporains et du reste postérieurs à la conception de l’ouvrage sont venus comme l’authentiquer aux yeux mêmes de l’auteur ; — voilà surtout une donnée singulièrement dramatique. Drame de passion, drame de conscience, drame d’idées, ces trois élémens y sont étroitement mêlés et fondus ensemble. De plus, le sujet