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comme nous l’avons toujours soutenu, l’idéal qui est persuasif ; et il l’est, parce qu’il est un idéal de bonté universelle, de perfection et d’amour pour l’humanité entière et pour tous les êtres. La pensée ne peut pas remonter plus haut, aspirer plus haut : Sursum corda, sursum mentes. Cette aspiration fait notre dignité, cette aspiration fait, si vous voulez, notre honneur ; mais c’est parce qu’elle est l’élan même de notre pensée, entraînant à sa suite l’âme entière.


VIII

En présence de tant de systèmes sur la morale que nous avons esquissés d’une façon imparfaite, le premier mouvement est de croire à une sorte d’anarchie intellectuelle ; mais, si on va plus au fond, on découvre entre les doctrines opposées de secrètes harmonies. Les systèmes adverses, tout entiers à leur point de vue propre, ne s’aperçoivent pas qu’ils s’appellent entre eux, qu’ils tendent les bras l’un vers l’autre, ripæ ulterioris amore. La vérité est, selon nous, dans la synthèse des morales humanitaires et des morales individualistes au moyen d’un complet approfondissement de la conscience.

Remarquons d’abord que, sur la plupart des applications concrètes de la morale, les diverses écoles sont d’accord entre elles. Que les vertus privées, familiales et civiques aient un côté social et humanitaire, on ne saurait plus le contester, qu’elles aient en même temps un côté psychologique, et individualiste, on ne saurait le contester davantage. Les libertaires eux-mêmes aboutissent à une morale humanitaire, tout comme les humanitaires aboutissent à une morale où ils s’efforcent de sauvegarder les libertés individuelles. Si nous passons des applications de la morale à son principe premier et philosophique, nous nous apercevons également que la synthèse des opposés est possible et qu’elle est même en train de se faire.

Poussez assez loin ces deux termes qui semblent d’abord en opposition, personnalité et société, vous reconnaîtrez qu’ils s’impliquent dans les profondeurs. Plus un être est vraiment personnel, par la force de son intelligence, de sa sensibilité, de sa volonté, et plus il est, par cela même, capable de s’ouvrir à autrui, d’agir en vue de fins impersonnelles. D’autre part, plus une société mérite son nom par les liens intimes dont tous ses