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ragaillardissait, ils retrouvaient leur entrain et leur joie. » Ainsi notre torpeur et notre agitation dans le vide nous nuisaient doublement : par le mal que nous ne faisions pas à l’ennemi, par celui que nous nous faisions à nous-mêmes.

Pour occuper le temps, les hauts chefs avaient appelé leurs femmes. Le camp en était plein. « Trop de femmes d’officiers, » écrivait le prince Napoléon dans son carnet. Le major général avait donné le mauvais exemple en faisant venir sa femme et sa fille. L’Impératrice eût voulu les imiter ; l’Empereur ne le lui permit pas. Les journaux constataient ironiquement ces réunions de famille et publiaient la note suivante : « LES FEMMES DES MARECHAUX. — Un train spécial pour le service de la Cour a porté hier soir Mme la maréchale de Mac Mahon à Strasbourg, et Mme la maréchale Le Bœuf à Metz ; M. le maréchal Canrobert est à Châlons avec sa femme et son fils. Ces dames doivent, dit-on, y passer huit jours. Mme Bazaine doit se rendre aujourd’hui au camp du maréchal (27 juillet). » Un général de division aussi gourmet que martial avait fait venir son cordon bleu, nommé Catherine, bientôt célèbre parmi l’état-major, et se délectait avec les camarades.

Les repas étaient servis sur des tables élégamment dressées où brillaient les cristaux et l’argenterie. En revenant d’une inspection où il avait été choqué de ce luxe, Le Bœuf trouve dans ses propres bivouacs le même appareil somptueux et un service de table fraîchement arrivé : il le fait emballer et renvoyer. On ne l’imita guère. Le sans-gêne atteignit à un degré inconnu. Un des chefs de l’armée avait installé à côté de ses bureaux sa femme, sa fille, une nourrice avec un enfant. Tout ce monde circulait au milieu des estafettes et des plantons, courant aux nouvelles, arrêtant l’un, causant avec l’autre, encombrant l’hôtel, et ce pêle-mêle indescriptible donnait à Metz l’aspect d’un champ de foire plutôt que d’un camp.

L’état-major général siégeait à l’Hôtel de l’Europe. Il travaillait dans une petite salle sur laquelle donnaient trois portes qui, quelquefois, s’ouvraient bruyamment toutes à la fois, et dans laquelle trente officiers écrivaient au milieu d’une chaleur effroyable et quelquefois d’interruptions bruyantes. Les escaliers, les salles, les cours de l’hôtel étaient livrés au public ; les journalistes français et étrangers en quête de nouvelles s’y pressaient et ne perdaient pas leur temps. Le moindre de nos