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réclamer de Guyau, dont se réclament aussi beaucoup de socialistes[1]. C’est le propre des grands esprits comme Guyau de s’ouvrir à tout et à tous, au lieu de s’enfermer dans une doctrine sans horizons. Aussi Guyau a-t-il parlé d’« anomie » et d’ « anarchie ; » mais c’est en un sens tout philosophique et moral. Selon lui, les idées d’obligation et de sanction ont une place nécessaire dans les sociétés humaines ; mais elles n’expriment pas la plus haute conception de la moralité intérieure et personnelle, qui est au-dessus des lois et des impératifs, au-dessus des sanctions et expiations de toutes sortes. C’est donc seulement dans l’ordre moral que Guyau va au-delà de la loi. Nietzsche, lui, prétendra aller « au-delà même du bien et du mal ; » il supprimera la moralité en laissant subsister les lois sociales.

Selon M. Emile Faguet, « l’effort de Guyau, — souvent dissimulé par son génie, — apparent quelquefois, cependant, et sensible, a été de montrer que, parmi les innombrables raisons de vivre, celle surtout que l’instinct de la vie conseille, c’est celle qu’a toujours conseillée la morale traditionnelle[2]. » Guyau, au contraire, n’est pas d’accord, sur beaucoup de points, avec la morale traditionnelle, ni sur ses principes ni sur ses applications. Ce qui est vrai, c’est qu’il trouvait dans la vie même, dans la vie la plus énergique à la fois et la plus débordante, la vraie raison de vivre. L’« honneur, » auquel M. Faguet, pour son propre compte, voudrait ramener la vie intense et extensive, eût semblé à Guyau n’être qu’une expression sociale du sentiment même de notre vie personnelle, la conscience d’une puissance interne qui dépasse tout ce qui lui est inadéquat et qui dit : Je peux, donc je dois ; je peux faire plus, donc je dois faire plus ; je peux me dépasser moi-même, donc mon honneur est de me dépasser.

  1. La renommée de Guyau ne fait que grandir. De tous côtés lui arrivent de nouveaux hommages, et non pas seulement de la part des philosophes de profession. « La Morale sans obligation ni sanction, dit M. Emile Faguet, est une des plus grandes œuvres philosophiques qu’ait produites l’humanité et qui fait date. » M. Faguet consacre en entier à ce livre le quatrième chapitre de son ouvrage sur la Démission de la morale. M. Brieux, qui dédia jadis à Guyau, sans le connaître personnellement, sa pièce de théâtre les Bienfaiteurs, lui rendit récemment un éclatant hommage dans son Discours de réception à l’Académie française, en citant cette parole « du grand philosophe poète » : « Tout aimer pour tout comprendre, tout comprendre pour tout pardonner. » M. Brieux a résumé ailleurs l’œuvre et l’influence de Guyau en ces paroles brèves et pleines : « Parce qu’il a vécu, il y a dans l’humanité un peu plus de pitié et d’amour. »
  2. La renommée de Guyau ne fait que grandir. De tous côtés lui arrivent de nouveaux hommages, et non pas seulement de la part des philosophes de profession. « La Morale sans obligation ni sanction, dit M. Emile Faguet, est une des plus grandes œuvres philosophiques qu’ait produites l’humanité et qui fait date. » M. Faguet consacre en entier à ce livre le quatrième chapitre de son ouvrage sur la Démission de la morale. M. Brieux, qui dédia jadis à Guyau, sans le connaître personnellement, sa pièce de théâtre les Bienfaiteurs, lui rendit récemment un éclatant hommage dans son Discours de réception à l’Académie française, en citant cette parole « du grand philosophe poète » : « Tout aimer pour tout comprendre, tout comprendre pour tout pardonner. » M. Brieux a résumé ailleurs l’œuvre et l’influence de Guyau en ces paroles brèves et pleines : « Parce qu’il a vécu, il y a dans l’humanité un peu plus de pitié et d’amour. »