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vient de Dieu. » Laissez les puissances de l’homme s’épandre en liberté, vous les verrez s’attirer entre elles et s’harmoniser peu à peu. L’individualité même, par son libre jeu, engendrera la sociabilité. « Céder à ses attractions, voilà la vraie sagesse, car les passions sont une boussole permanente. » On sait que, selon Proudhon, la perfection serait l’absence du pouvoir politique, qui serait remplacé par les règles toutes civiles de l’échange et du contrat : et cette sorte d’anarchie serait le meilleur gouvernement.

L’anarchisme a son origine et son type dans les guildes, communautés et « fraternités » du moyen âge, dans le petit travail en commun, tandis que le socialisme procède de la cité manufacturière et du grand travail organisé dans les usines, sous l’empire de règlemens stricts, analogues aux lois de l’Etat. Selon les libertaires et anarchistes, toutes les lois, comme telles, sont mauvaises, par cela seul qu’elles sont des lois, c’est-à-dire, des volontés collectives imposées à la volonté individuelle. L’autorité, sous quelque forme qu’elle s’exerce, est tyrannique. Sur les ruines de tout ce qui enveloppe une contrainte et une règle, — morale, religion, État, société même, — un seul précepte doit triompher : « Fais ce que tu veux, » sans même qu’il soit nécessaire de dire préalablement, comme saint Augustin : Aime, et fais ensuite ce que tu veux.

Elisée Reclus répétait aux anarchistes : « Instruisez le peuple. » On sait comment l’infortuné Ferrer, en Espagne, mit à exécution le conseil du maître et fonda l’ « école moderne. » Le but de son enseignement, comme de tout enseignement anarchiste, était, selon ses expressions, de détruire « le mensonge religieux, patriotique, politique, juridique et militaire. » En d’autres termes, tout ce qui retient et contient l’individu est mensonger aux yeux de l’anarchiste. La religion est un mensonge, parce qu’elle prétend imposer une loi d’en haut ; la patrie est un mensonge, parce qu’elle suppose que l’individu naît avec des liens qui le rattachent indissolublement à ses concitoyens par une communauté de langue, d’histoire, d’institutions, de traditions, d’aspirations, de coopération et d’aide ; l’État est un mensonge, parce qu’il prétend incarner la patrie et représente la volonté de tous imposant une limite à la liberté de chacun ; le droit et la loi sont des mensonges, parce que la loi et ses sanctions sont encore des limitations factices de la