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ses prophéties de malheur. L’unique officier dont la présence au quartier général, à un titre quelconque, eût pu conjurer le mutisme des uns et la loquacité intempérante des autres, le général Fleury, était tenu au loin. Sa présence, inutile à Pétersbourg, aurait été d’un intérêt primordial près de l’Empereur. Lui seul aurait su lui parler avec une entière franchise sans le blesser, le tirer de l’isolement accablé auquel succombait sa volonté impuissante et déterminer à des actes résolus le chef qui voulait commander en étant hors d’état d’agir. Pénétrant, sensé, d’un esprit clair, courageusement dévoué, il n’eût fait prévaloir que les conseils utiles. S’être privé d’un tel auxiliaire fut une erreur aussi funeste que celle d’avoir envoyé Mac Mahon à Strasbourg au lieu de le garder à Metz.

L’Impératrice ne laissa point partir son malheureux mari sans prendre quelque précaution où se révélait sa sollicitude. La maladie avait quelquefois des rémissions pendant lesquelles toute souffrance disparaissait ; mais durant les crises, les douleurs étaient atroces et elles étaient augmentées toujours par le mouvement du cheval ou les secousses de la voiture ; de plus, pendant ces accès, on était obligé de recourir à l’emploi des sondes molles. Elle fit mettre dans les bagages une voiture de parc où l’on monte et descend sans portières ; et c’est dans cette voiture que Napoléon III fit la campagne. Elle pria aussi Conneau de demander à Nélaton un jeune chirurgien, à la main exercée, sur lequel on pût absolument se reposer, qui cependant, n’étant pas connu, pût suivre l’armée sans que sa présence y jetât le découragement qui l’aurait envahie si elle avait pu soupçonner l’état d’impotence de son chef. Nélaton désigna un de ses élèves de mérite, qui, depuis, a parcouru une belle carrière : Théophile Anger. Il fut attaché à l’état-major en qualité de chirurgien des ambulances, secrétaire de Conneau. Nélaton lui donna les instructions suivantes : « L’Empereur a une rétention d’urine intermittente. Alors il éprouve des angoisses inexprimables. Au bout de quelque temps, cela cesse. Vous le suivrez pour obvier à ces inconvéniens, s’ils se produisent, en emportant avec vous les instrumens de sondage et même d’opération. » Anger demanda naturellement si l’Empereur avait la pierre. Nélaton ne répondit ni oui ni non : « Pour le savoir sûrement, il faudrait le sonder ; il n’a pas voulu encore y consentir. » Avant de partir, Anger alla dire adieu à Sée qui