Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/720

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la vénération, des pressentimens, de l’intuition, bref de toutes les forces les plus puissantes de leur âme. Cette inquiétude, cette tristesse, cet inassouvi au milieu du laboratoire, c’est ce qu’Albert Dürer a représenté dans cette sublime gravure de Melancholia, au bas de laquelle on pourrait écrire : Insuffisance de la science pour contenter une grande âme. » M. Barrès continue longtemps ainsi, montrant à l’œuvre « cette grande activité intérieure, cette vie profonde, cette conscience obscure, ce besoin du divin, fait auquel la science psychologique attribue la plus grande réalité et qu’il n’est pas en notre pouvoir d’abolir dans l’homme. » Mais ces aspirations, livrées à elles-mêmes, ne sont pas sans danger. « Oui, dit-il, le fonds religieux est à la fois très fécond et très redoutable : l’Église y porte une discipline. Pour quiconque a médité sur ces abîmes de la vie sous-consciente, l’Église est encore ce que l’homme a trouvé de plus fort et de plus salubre pour y porter l’ordre. Seule aujourd’hui elle répond encore aux besoins profonds de ceux-là mêmes qui semblent le plus réfractaires à son paisible rayonnement. Seule elle étend ses pouvoirs jusqu’à des régions où, comme a dit Goethe, la raison n’atteint pas et où cependant on ne veut pas laisser régner la déraison. » On sait à quels égaremens ont été entraînés de nobles esprits. M. Barrès a montré l’âme obscure des foules se laissant aller, en dehors des freins religieux, à des superstitions encore pires. De là vient la nécessité sociale de nos pauvres églises de village où continue de se réaliser dans des formes éprouvées, expurgées par la durée à travers les siècles, leur persévérant idéalisme : qu’arriverait-il si elles disparaissaient ?

M. le président du Conseil, qui est optimiste, — et ce n’est pas la seule fois que nous aurons aie constater dans cette chronique, — espère bien qu’elles ne disparaîtront pas. Il n’a pas absolument nié le mal signalé par M. Barrès ; il s’est contenté de l’amoindrir de son mieux, de manière à rassurer la conscience de la Chambre. « Je reconnais volontiers, a-t-il dit, que l’église, pour les catholiques, est l’instrument nécessaire, indispensable de leur culte. Il est donc nécessaire pour eux que sa conservation soit assurée, et il faut rendre au parti républicain cette justice qu’il s’est inspiré de cette préoccupation. » Soit, le parti républicain s’en est inspiré, mais pas assez. Jusqu’ici, le mal est resté limité, mais il menace de s’étendre. Le gouvernement a fait un effort pour sauver un certain nombre d’églises, et M. Briand a dit à la Chambre que le nombre de celles qui ont été classées comme monumens historiques ou artistiques est le double de ce qu’il était sous le Concordat : il a ajouté que ce classement n’était pas terminé. Nous