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danger ne menace l’enfant, qu’un malheur ne lui soit arrivé, et c’est leur angoisse qui se réalise quand on leur rapporte l’enfant inanimé. Tempête, amour et suicide, c’est la formule même du romantisme. Tout cet acte est d’un romantisme exaspéré et funèbre, tel qu’on l’affectionnait vers 1840… « Je suis un meurtrier, confesse le père atterré : Thérèse, tu ne me reverras plus. » Mais celle-ci : « Reste, je ne peux pas. » Même dans la stupeur où la plonge son désespoir de mère, elle a l’obscure conscience qu’elle est rivée par un lien irrésistible au meurtrier de son enfant. Et il suffit de ces quelques mots pour mettre en fuite la pitié que nous allions ne pas lui refuser.

Telle est cette pièce, pleine de talent, d’observation, d’esprit, mais prolixe, pénible et plus encore désobligeante. Pas un personnage n’y est sympathique, même ceux qui souffrent, même celui qui meurt. Je ne réclame pas la présence du « personnage sympathique » suivant la formule conventionnelle. Mais je voudrais qu’il y eût quelqu’un ici vers qui pût aller notre intérêt avec notre estime. Fontanet est le mari coureur, dans toute sa banalité. Mme Allain est la femme facile, dans toute sa vulgarité. Augustin est un maniaque. Mme Fontanet, enfin, n’est pas l’épouse qui pardonne, la mère qui sacrifie de justes rancunes à l’intégrité du foyer ; non : c’est l’amante légitime qui continue à aimer quand même. C’est son affaire. Et voilà un ordre de considérations, toutes personnelles, qui cesse de nous toucher… Les situations dans le Vieil homme sont fâcheuses plutôt que dramatiques ; on est moins ému qu’affligé ; et, en sortant de la salle, on met quelque empressement à écarter de son souvenir l’impression gênante et obsédante.

J’ai dit que M. de Porto-Riche a mis dans cette pièce toutes ses qualités, et c’est un point sur lequel je tiens à insister. Écrivain de théâtre très soucieux de la forme, il fait parler à ses personnages un langage d’un tour très littéraire, plus près même du style écrit que du ton de la conversation. Psychologue très averti, il ne croit jamais être allé assez avant dans l’analyse. Moraliste amer, il a des mots à la Chamfort. Mais le théâtre d’amour comporte-t-il tant d’art et l’emploi de si riches ressources ? Le principe même de ce théâtre vicie les plus beaux dons. Dans ce dialogue si soigné éclatent parfois des répliques qui étonnent par leur brutalité, mais qui sont en situation, car elles attestent ce qu’il y au fond de grossier chez ces personnages. Nous aimons beaucoup la psychologie au théâtre et nous ne trouvons jamais qu’on en ait trop mis ; mais c’est à condition que l’étude en vaille la peine et que nous soyons curieux des découvertes que