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avec la douceur et la tendresse que la plus perfide férocité.

« Ah !… Racine, la cruauté de son imagination et son cœur est la cruauté même de l’amour, et il semble n’avoir écrit qu’avec des flèches.

« Vous êtes-vous amusés à lire, l’une après l’autre, les deux Bérénice ?… Racine, c’est peut-être là que se livre le plus son âme vindicative. Il aime voir souffrir… Corneille aboie rudement, comme un brave chien, contre l’amour traître ; Racine, avec la grâce redoutable des tigres, l’atteint en quelques bonds sournois, se joue de sa faiblesse, et, tout vivant, le dévore[1] ! »


* * *

Après Racine, après moi, ce fut le tour d’une grande dame russe, qui acquit une réputation de graphologue émérite, le jour où, s’installant de longs mois à Weimar, elle eut scruté l’écriture de Goethe à tous les âges. Sait-on que, aux yeux de nombre d’Allemands, Gœthe semble aujourd’hui fixé sous les traits mêmes du portrait que la baronne de Ungern-Sternberg en a tracé ? (M. Faguet a démoli ce nom ! )

Eh bien ! un diplomate français lui fit parvenir une des lettres que je possède, la lettre du Manchon, écrite par Racine lors de sa sortie d’Harcourt. — Qu’est ce jeune homme ? La réponse fut extrêmement curieuse. Ne voulant pas l’insérer dans mon texte, je la reléguai en un coin du livre. M. Faguet, — qui, paraît-il, préside un groupe de graphologues sorbonniens, — étudia avec eux, non la lettre même, mais le cliché imprimé de la photographie que le livre a reproduit. Alors, lutte de graphologues ! On dirait que, comme les augures, ils ne se peuvent regarder sans rire… Toujours est-il que le portrait de Racine par la section de graphologues de la Sorbonne est bien piquant.

Ce portrait rival éreinte le portrait de la grande dame russe. Et savez-vous ce qu’il lui reproche ? De n’avoir pas vu en Racine les magnifiques qualités que ses œuvres révélèrent… plus tard ! M. Faguet a cru que c’était là l’écriture de Racine homme fait. C’était d’un collégien !

Mais là où M. Faguet est le plus savoureux, c’est comme psychologue. Lui et son groupe, à certains aspects de l’écriture

  1. Bientôt je publierai le blason que s’était un jour composé Racine : deux tigres ! Et, dans son Esther, que de tigres !…