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d’un désir de vivre aveugle et malfaisant. Alors comment expliquer l’harmonie du Kosmos et la soif inextinguible de perfection innée à l’esprit ? Voilà la contradiction métaphysique. — Bouddha veut ensuite que de jour en jour, d’année en année, d’incarnation en incarnation, le Moi humain travaille à son perfectionnement par la victoire sur ses passions, mais il ne lui accorde aucune réalité transcendante, aucune valeur immortelle. Alors comment expliquer ce travail ? Voilà la contradiction psychologique. — Enfin Bouddha donne à l’homme et à l’humanité, comme idéal et comme but unique : le Nirvâna, concept purement négatif, la cessation du mal par la cessation de la conscience. Ce saltus mortalis, ce saut dans le vide du néant vaut-il l’immensité de l’effort ? — Voilà la contradiction morale. Ces trois contradictions, qui ressortent l’une de l’autre et s’emboîtent rigoureusement, indiquent suffisamment la faiblesse du bouddhisme comme système cosmique.

Il n’en est pas moins vrai que le bouddhisme a exercé une influence profonde sur l’Occident. À toutes les époques où la philosophie et la religion traversent une grande crise, à l’époque alexandrine, à celle de la Renaissance et à la nôtre, on entend en Europe comme un écho lointain et transposé de la pensée bouddhiste. D’où lui vient ce pouvoir ? De sa doctrine morale et de ses conclusions ? Nullement. Elle lui vient de ce fait que Bouddha fut le premier à divulguer au grand jour la doctrine dont les brahmanes n’avaient parlé qu’à demi-mot et qu’ils avaient cachée dans le secret de leurs temples. Or cette doctrine est le vrai mystère de l’Inde, l’arcane de sa sagesse. J’entends la doctrine de la pluralité des existences et le mystère de la réincarnation.

Dans un très vieux livre, un brahmane dit à son collègue dans une assemblée : « Où va l’homme après sa mort ? — Donne-moi la main, Yaïnavalkia, répond l’autre, nous seuls devons le savoir. Pas un mot de cela aux autres. » Et ils parlèrent de la réincarnation[1]. » Ce passage prouve qu’à une certaine époque, cette doctrine fut considérée comme ésotérique par les brahmanes. Ils avaient pour cela d’excellentes raisons. S’il n’est point de vérité qui introduise plus avant dans les officines secrètes de la nature et dans le processus de l’évolution universelle, il n’en

  1. Oupanischad des cent sentiers, cité par Oldenberg.