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LE MYSTÈRE DE L’INDE.

de la souffrance : la suppression de la soif par la destruction du désir ; le mettre hors de soi, s’en délivrer, ne plus lui laisser de place. — Ceci, ô moines, est la vérité sainte sur la suppression de la douleur. » Depuis que Çakia Mouni est en possession des quatre vérités essentielles, à savoir : 1o la souffrance ; 2o l’origine de la souffrance ; 3o la suppression de la souffrance, 4o le chemin de la suppression, il déclare que dans le monde de Brahma et de Mâra, parmi tous les êtres, y compris les ascètes et les brahmanes, les dieux et les hommes, il a atteint la félicité parfaite et la plus haute dignité de Bouddha.

Toute la carrière du réformateur indou, toute sa prédication, tout le bouddhisme avec sa littérature sacrée et profane ne sont qu’un commentaire perpétuel, à mille variations, du sermon de Bénarès. Cette doctrine a un caractère exclusivement et rigoureusement moral. Elle est d’une douceur impérieuse et d’une désespérance béate. Elle cultive le fanatisme du repos. On dirait une conjuration pacifiste pour amener la fin du monde. Ni métaphysique, ni cosmogonie, ni mythologie, ni culte, ni prière. Rien que la méditation solitaire et la prédication morale. Uniquement préoccupé de mettre fin à la souffrance et d’atteindre le Nirvana, Bouddha se défie de tout et de tous. Il se défie des dieux, parce que ces malheureux ont créé le monde. Il se défie de la vie terrestre parce qu’elle est une matrice de réincarnations. Il se défie de l’au-delà parce que, malgré tout, c’est encore de la vie et par conséquent de la souffrance. Il se défie de l’âme parce qu’elle est dévorée d’une soif inextinguible d’immortalité. L’autre vie est, à ses yeux, une autre forme de séduction, une volupté spirituelle. Il sait, par ses extases, que cette vie existe, mais il se refuse d’en parler. Cela serait trop dangereux. Ses disciples le pressent de questions sur ce point ; il demeure inflexible. — L’âme continue-t-elle de vivre après la mort ? s’écrient-ils en chœur. Pas de réponse. — Alors, elle doit mourir ? Pas de réponse. Resté seul avec lui, Ananda, le favori du maître, lui demande la raison de ce silence. Bouddha répond : « Il serait préjudiciable à la morale de répondre dans un sens ou dans un autre, » et il garde son secret. Un moine raisonneur et plus malin que les autres décoche un jour au maître un argument incisif et redoutable. « Ô Bienheureux, dit-il, tu prétends que l’âme n’est qu’un composé de sensations éphémères et viles. Mais alors, comment le moi, qui va d’incar-