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en lui disant qu’elle ne serait conduite dans les prisons ecclésiastiques qu’après avoir revêtu les habits de femme ?

Les réticences du procès-verbal nous montrent une fois de plus que la crainte dominait tellement le timide Manchon, qu’il n’hésitait pas à supprimer demandes ou réponses quand elles accablaient les juges.

Le 28 mai, lorsqu’on demandera à Jehanne : « Pourquoi avez-vous repris l’habit d’homme ? » elle répondra : « Je l’ai repris, parce qu’on n’a pas tenu ce que l’on m’avait promis, à savoir que j’irais à la messe, recevrais mon Sauveur et que l’on me mettrait hors des fers. » Et lors du procès de révision, Manchon déposera en ces termes : « On demanda à Jehanne en ma présence pourquoi elle avait repris l’habit d’homme. Elle dit que les juges lui avaient promis qu’elle serait entre les mains et dans les prisons de l’Eglise et qu’elle aurait une femme avec elle… » Manchon complète ainsi ce qu’il n’a pas osé écrire dans le procès-verbal du 24.

En nous reportant à la séance du 17 mars, nous voyons Jehanne annoncer par avance quelle serait sa conduite en pareille circonstance. On l’interroge : « Vous avez dit que vous prendriez l’habit de femme si l’on vous laissait aller ; est-ce que cela plairait à Dieu ? » Elle répond : « Si l’on me donnait congé en habit de femme, je me mettrais aussitôt en habit d’homme et je ferais ce qui m’est commandé par Notre-Seigneur. C’est ce que j’ai répondu précédemment ; pour rien au monde, je ne ferais le serment de ne point m’armer et de ne pas me mettre en habit d’homme, et cela pour faire le plaisir de Notre-Seigneur. »

Jehanne avait donc prévu, et à plusieurs reprises, qu’elle pourrait momentanément quitter l’habit viril sans manquer aux ordres de ses voix. Si le 24 mai, elle accepte l’habit de femme ; c’est dans les conditions qu’elle a déjà posées. Elle n’a pas mis sa signature et par conséquent a refusé tout engagement : « Oncques, je n’ai compris faire serment. » Ne croirait-on pas que nous lisons écrit de sa main le récit de ce qui s’est passé au jour de la prétendue abjuration de Saint-Ouen ?

Pour Jehanne, en effet, l’habit et les armes qu’elle porte sont les emblèmes de sa mission.

Quand on lui avait demandé le 27 février : « Est-ce Notre-Seigneur qui vous a dit de prendre le vêtement d’homme ? — Le