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prétendra que ce signe était une signature. Cet escamotage de fin de séance, si on ose employer ce mot, n’aurait pas été possible dans une salle d’audience ; et c’est pourquoi Cauchon avait voulu une séance en plein air, où un tumulte organisé à propos, des pierres jetées, etc., amenèrent un désordre propice au brigandage judiciaire le plus éhonté qu’ait jamais enregistré l’histoire.

Jehanne n’avait pas signé ; elle n’avait mis qu’une croix, qui, en certaines occasions, constituait pour elle un désaveu, ainsi qu’elle l’avait dit à ses juges. Voilà le fait nouveau qui domine tout le procès et donne aux paroles de la Pucelle, dans les événemens qui vont suivre, leur valeur positive et réelle.

Lorsque Cauchon, le 28 mai, lui dira : « Vous aviez promis et juré de ne pas reprendre l’habit d’homme. — Oncques, répondit Jehanne, je n’ai compris faire serment de ne pas le prendre. » C’est bien l’affirmation que la croix tracée au bas de la cédule ne constituait pour elle aucun engagement. Cauchon le sait mieux que tout autre ; aussi n’ose-t-il pas relever cette déclaration.

La scène de Saint-Ouen avait eu lieu dans la matinée du 24. Aussitôt terminée : « Or ça, gens d’église, dit Jehanne, menez-moi en vos prisons et que je ne sois plus entre les mains de ces Anglais. » Cauchon, consulté, répondit : « Menez-la où vous l’avez prise. » Cette interpellation de Jehanne est très caractéristique ; ce n’est pas une prière, mais un ordre qu’elle donne. On y découvre les promesses faites et le doute de Jehanne quant à leur réalisation : « Or ça, gens d’église ?… »

Le même jour de jeudi, après-midi, Jean Le Maître, vice-inquisiteur, assisté de Thomas de Courcelles (celui qui avait réclamé la torture), Nicolas Midi, Loyseleur, etc., tous les ennemis les plus acharnés de Jehanne, se rendirent à sa prison. Quoique son nom ne soit pas porté au procès-verbal, Cauchon nous dira le 28 avoir assisté à cette séance. C’était le moment décisif ; il savait que la cédule n’engageait pas Jehanne et, pour la décider à quitter le costume viril[1], n’a-t-il pas fallu que lui-même renouvelât les engagemens pris en son nom par Erard,

  1. Nous devons nous étendre assez longuement sur la question de l’habit viril, parce que bien des auteurs ont considéré l’abandon de ce costume comme le signe de l’abjuration faite par la Pucelle ; et que tout en l’excusant de l’avoir repris pour la défense de sa vertu, elle aurait par cet acte manqué à son serment.